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de jeunes et brillans cavaliers qui, me faisant l’honneur de remarquer ce que Christine appelait « ma beauté fatale,» essayaient sur moi la puissance de leurs délicats petits soins, de leur galanterie attentive. Je ne les décourageais par aucune pruderie à contre-temps. Il me semblait même que, pour une personne étrangère comme je l’étais à ce menu commerce des salons, je n’étais pas trop en reste de prévenances et de bonne volonté expansive; mais Christine, qui me suivait d’un œil curieux, prit un jour le soin de me désabuser. — Certainement, me disait-elle, vous êtes d’une politesse parfaite, d’une bonne grâce irréprochable; mais au fond de tout perce l’indifférence la plus absolue et la plus décourageante... Je comprends, ajoutait-elle, par allusion à une conversation où je l’avais fort étonnée en lui apprenant que « jamais personne ne m’avait fait la cour, » je comprends, si vous avez toujours été ce que je vous vois, que pas un homme ne se soit hasardé, toute belle que vous êtes, à vous parler un certain langage.

Tout ne causant ainsi, elle parcourait de l’œil un journal qu’on venait d’apporter.

— Dites-moi, s’écria-t-elle tout à coup, ce M. Wyndham dont vous m’avez parlé quelquefois, son prénom n’est-il pas Hugh?... N’est-il pas capitaine? Son régiment ne tient-il pas garnison à Corfou?

— Grand Dieu! m’écriai-je à mon tour, lui serait-il arrivé malheur?

— Si sa femme s’appelait Rosa, il est veuf à l’heure qu’il est, répondit ma belle-sœur.

Je saisis le journal qu’elle me présentait, et m’assurai en effet que moins d’un an après leur mariage ces pauvres jeunes gens étaient à jamais séparés. L’image du malheureux Hugh Wyndham, se dressant tout à coup devant moi, me remplit d’une indicible pitié. Je voulus lui exprimer sur-le-champ ma vive et douloureuse sympathie. Christine, à qui je lus ma lettre, écrite à l’heure même sous ses yeux, me dit simplement : — Vous l’aimez donc comme un frère?

— Comme un frère, vous l’avez dit, répondis-je, non sans une espèce de confusion intérieure dont j’aime à croire qu’aucune trace ne se refléta sur mon visage.

La réponse de Hugh m’arriva dans la quinzaine. de toutes les consolations qu’il avait reçues, c’étaient les miennes, me disait-il, qui étaient allées le plus près de son cœur. Mieux que personne, j’avais deviné ce qu’il souffrait; mieux que personne, je lui avais parlé le langage que réclamaient ses souffrances. Celle qui n’était plus m’avait aimée sans me connaître. Que de fois n’avaient-ils pas fait entier, elle et lui dans leurs plans d’avenir, la réunion dont naguère il m’avait parlé! Maintenant comment prévoir le moment