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Il se rattache à l’un de ces propos que çà et là je surprenais malgré moi dans les conversations de la nursery. « Il était dur, disait Jane Hickman, quand on avait tant de preuves contre Carter, que son frère, à elle, fût ainsi l’objet de mauvais propos et obligé de quitter le pays. »

— Son frère?... Il a quitté le pays?... Voyons! reprit Godfrey. — Et avec une ardeur nouvelle il voulut savoir tout ce qui concernait ce personnage, dont je pouvais à peine me rappeler le nom... — Il faudra pourtant, se prit-il à dire ensuite entre ses dents, il faudra retrouver la trace de ces Hickman!...

Jusque-là, dominée par l’horreur que m’inspirait cette série de découvertes qui jetaient sur le passé leur lumière sinistre, je n’avais pu embrasser du même coup d’œil l’influence qu’elles devaient exercer sur l’avenir. Ces simples mots me firent entrevoir tout un cortège de nouvelles misères et de hontes nouvelles. Protester contre elles, les conjurer si je le pouvais, m’apparut comme le plus impérieux, le plus pressant des devoirs.

— Godfrey, m’écriai-je, le ciel sait que je hais profondément, et d’une haine amère, et depuis seize ans, l’homme par qui notre père est mort : je souhaite comme vous que cet assassin n’échappe point au châtiment qu’il mérite; mais l’infamie que nous jetterions sur les vivans ne nous rendrait pas ceux que la mort nous a pris….. Aussi vous déclaré-je dès à présent, — ne m’accusez jamais de vous avoir trompé à cet égard ! — que rien ne me fera porter un témoignage flétrissant pour ma mère.

— Est-ce là votre dernier mot? me demanda-t-il avec l’accent d’une colère contenue.

— Oui, lui répondis-je avec une fermeté qui ne devait lui laisser aucun doute. Et si vous êtes l’homme équitable et bon en qui j’ai eu jusqu’ici confiance, vous ne me ferez jamais repentir d’avoir loyalement et sans réserve répondu à toutes vos questions.

— Il paraît que je m’étais trompé sur votre compte, reprit-il d’un ton où le mépris le disputait à l’irritation... J’avais vu en vous une partie de moi-même.

D’autres eussent fléchi sous cet injuste dédain; mais j’étais bien du même sang que mon frère, et me redressant sous l’injure : — Je vous forcerai à me reconnaître pour votre sœur, répliquai-je, en me refusant, quoi qu’il arrive, à ce que je regarde comme une mauvaise action.

Il me regarda un moment, et ensuite s’imposant, par un suprême effort, un calme parfait : — Soit, dit-il. Je dois, sans les comprendre, respecter vos scrupules... Peut-être n’aurai-je jamais besoin ni de votre aide ni de votre témoignage, et les indications que vous