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quelque chose. Ce fut comme un nouveau pacte d’amitié fraternelle qui ce jour-là fut signé entre nous.

J’avais quitté ma mère au mois de juillet. Ce fut à la fin de septembre que nous allâmes nous établir à Stonecliffe, le petit port le plus voisin de Tynteford. Là, loin de ses livres, de ses instrumens de précision, de toutes les petites industries qui occupaient ses loisirs, Godfrey se trouva bientôt fort désœuvré. Il n’avait, pour remplir le vide de ses journées, que de longues promenades auxquelles je m’associais volontiers quand elles n’étaient pas tout à fait au-dessus de mes forces. Pour les varier, il étudiait le pays sur des cartes qu’il avait tout exprès emportées avec lui, et à l’aide de ces guides si familiers de nos jours à la gent voyageuse.

— Savez-vous une chose? me dit-il un soir après avoir compulsé quelques-uns de ces documens. Par la route ordinaire, nous sommes à quarante bons milles de Blendon; mais le chemin de fer nous en rapproche beaucoup... Voyez plutôt... Blendon n’est qu’à douze milles de Selcote, et d’ici à cette station il n’y a guère qu’une heure de vapeur... En une journée, on pourrait aisément faire ce pèlerinage, aller et retour... Le cœur vous en dirait-il?...

Mon premier mouvement fut d’accepter; puis, par un brusque retour plutôt d’instinct que de réflexion : — Je crois, Godfrey, lui dis-je, que, pour vous comme pour moi, mieux vaut ne pas aller de ce côté.

— Vous avez peut-être raison, répliqua-t-il négligemment. — Et il se mit à combiner d’autres excursions. A la même distance de Selcote, mais dans une direction tout à fait opposée à celle qu’il fallait prendre pour arriver à Blendon, était Wensley-Priory, un ancien monastère devenu château, et près duquel le guide nous signalait, outre de magnifiques ruines, certains portraits historiques d’un intérêt tout spécial. Godlrey me proposa de m’y conduire, et fit arrêter d’avance, à Selcote, un dog-cart de louage qui nous attendait effectivement, tout attelé, à la barrière de la station. Nous y étions installés, et Godfrey assurait déjà les rênes dans sa main, quand un employé du chemin de fer auquel il demandait quelques indications de route, apprenant que nous allions « au prieuré, » nous dit que le propriétaire, sir Thomas Estcourt, était justement décédé la veille, et que l’accès du parc, comme celui du château, était dès lors interdit aux étrangers. Contrarié au dernier point par cet obstacle imprévu, Godfrey ne savait que résoudre, quand tout à coup, frappé d’une idée soudaine et se tournant vivement de mon côté : — Eh! me dit-il, si nous allions à Blendon?...

A la manière dont cette proposition m’était adressée, je vis bien qu’un refus le contrarierait singulièrement, et après tout j’avais