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plus profonde, et la voix formidable du désert recommençait à se faire entendre.

J’assistais avec émotion à ce grand spectacle lorsque j’entendis soupirer à mes côtés, et à la lueur d’un éclair j’aperçus un Indien appuyé comme moi sur le mur de notre demeure. L’orage venait sans doute d’interrompre son sommeil, car il promenait un œil fixe et troublé sur les objets qui l’environnaient. Cet homme craignait-il la foudre, ou voyait-il dans le choc des élémens autre chose qu’une convulsion passagère de la nature? Ces fugitives images de civilisation qui surgissaient comme d’elles-mêmes au milieu du tumulte du désert avaient-elles pour lui un sens prophétique? Ces gémissemens de la forêt, qui semblait se débattre dans une lutte inégale, arrivaient-ils à son oreille comme un secret avertissement de Dieu, une solennelle révélation du sort final réservé aux races sauvages? Je ne saurais le dire ; mais ses lèvres agitées paraissaient murmurer quelques prières, et tous ses traits semblaient empreints d’une terreur superstitieuse.

A cinq heures du matin, nous songeâmes au départ. Tous les Indiens des environs de Saginaw étaient absens; ils étaient partis pour aller recevoir les présens que leur font annuellement les Anglais, et les Européens se livraient aux travaux de la moisson. Il fallut nous résoudre à repasser la forêt sans guide. L’entreprise n’était pas aussi difficile qu’on pourrait le croire; il n’y a en général qu’un seul sentier dans ces vastes solitudes, et il ne s’agit que de n’en pas perdre la trace pour arriver au but du voyage. A cinq heures du matin donc, nous repassâmes la Saginaw; nous reçûmes les adieux et les derniers conseils de nos hôtes, et, ayant tourné la tête de nos chevaux, nous nous trouvâmes seuls au milieu de la forêt.

Ce n’est pas, je l’avoue, sans une impression grave que nous commençâmes à pénétrer sous ses humides profondeurs. Cette même forêt qui nous environnait alors s’étendait derrière nous jusqu’au pôle et à l’Océan-Pacifique. Un seul point habité nous séparait du désert sans bornes, et nous venions de le quitter. Ces pensées, au reste, ne nous portèrent qu’à presser le pas de nos chevaux, et au bout de trois heures nous arrivâmes près d’un wig-wam abandonné, sur les bords solitaires de la rivière Cass. Une pointe de gazon qui s’avance sur le fleuve à l’ombre de grands arbres nous servit de table, et nous nous mîmes à déjeuner, ayant en perspective la rivière dont les eaux limpides comme le cristal serpentaient à travers le bois.

Au sortir du wig-wam de Cass-River, nous rencontrâmes plusieurs sentiers; on nous avait indiqué celui qu’il fallait prendre; mais il est facile d’oublier quelques points ou d’être mal compris dans de pareilles explications. C’est ce que nous ne manquâmes pas d’éprou-