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cuisses, et ses pieds étaient garnis de mocassins. A son côté pendait un couteau. De la main droite il tenait une longue carabine, et de la gauche deux oiseaux qu’il venait de tuer. La première vue de cet Indien fit sur nous une impression peu agréable. Le lieu eût été mal choisi pour résister à une attaque. A notre droite, une forêt de pins s’élevait à une hauteur immense ; à notre gauche s’étendait un ravin profond, au fond duquel roulait parmi les rochers un ruisseau que l’obscurité du feuillage dérobait à notre vue, et vers lequel nous descendions en aveugles. Mettre la main sur nos fusils, nous retourner et nous placer dans le chemin en face de l’Indien, c’est l’affaire d’un moment. Il s’arrête de même; nous nous tenons pendant une demi-minute en silence. Sa figure présentait tous les traits caractéristiques qui distinguent la race indienne de toutes les autres. Dans ses yeux parfaitement noirs brillait ce feu sauvage qui anime encore le regard du métis et ne se perd qu’à la deuxième ou troisième génération de sang blanc. son nez était arqué par le milieu, légèrement écrasé par le bout, les pommettes de ses joues très élevées, et sa bouche, fortement fendue, laissait voir deux rangées de dents étincelantes de blancheur, qui témoignaient assez que le sauvage, plus propre que son voisin l’Américain, ne passait pas sa journée à mâcher des feuilles de tabac.

J’ai dit qu’au moment où nous nous étions retournés en mettant la main sur nos armes, l’Indien s’était arrêté. Il subit l’examen rapide que nous fîmes de sa personne avec une impassibilité absolue, un regard ferme et immobile. Comme il vit que de notre côté nous n’avions aucun sentiment hostile, il se mit à sourire : probablement il s’apercevait qu’il nous avait alarmés. C’est la première fois que je pus observer à quel point l’expression de la gaieté change complètement la physionomie de ces hommes sauvages. J’ai eu cent fois depuis l’occasion de faire la même remarque. Un Indien sérieux et un Indien qui sourit, ce sont deux hommes entièrement différens. Il règne dans l’immobilité du premier une majesté sauvage qui imprime un sentiment involontaire de terreur. Ce même homme vient-il à sourire, sa figure prend une expression de naïveté et de bienveillance qui lui donne un charme réel.

Quand nous vîmes notre homme se dérider, nous lui adressâmes la parole en anglais; il nous laissa parler tout à notre aise, puis il fit signe qu’il ne comprenait point. Nous lui offrîmes un peu d’eau-de-vie qu’il accepta sans hésitation comme sans remercîment. Parlant toujours par signes, nous lui demandâmes les oiseaux qu’il portait, et il nous les donna moyennant une petite pièce de monnaie. Ayant ainsi fait connaissance, nous le saluâmes de la main, et partîmes au grand trot. Au bout d’un quart d’heure de marche rapide,