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nétrez dans cette cabane qui semble l’asile de toutes les misères; mais le possesseur de ce lieu est couvert des mêmes habits que vous, il parle le langage des villes. Sur sa table grossière sont des livres et des journaux; lui-même se hâte de vous prendre à part pour savoir au juste ce qui se passe dans la vieille Europe, et vous demande compte de ce qui vous a le plus frappé dans son pays. Il vous tracera sur le papier un plan de campagne pour les Belges[1], et vous apprendra gravement ce qui reste à faire pour la prospérité de la France. On croirait voir un riche propriétaire qui est venu habiter momentanément, et pour quelques nuits, un rendez-vous de chasse. Et dans le fait la cabane de bois n’est pour l’Américain qu’un asile momentané, une concession temporaire faite à la nécessité des circonstances. Lorsque les champs qui l’environnent seront entièrement en produit, et que le nouveau propriétaire aura le loisir de s’occuper des choses agréables à la vie, une maison plus spacieuse et mieux appropriée à ses besoins remplacera le log-house et servira d’asile à de nombreux enfans, qui un jour aussi pourront se créer une demeure dans le désert.

Nous arrivâmes à Détroit, petite ville de deux ou trois mille âmes, que les jésuites ont fondée au milieu des bois en 1710, et qui contient encore un très grand nombre de familles françaises. Nous avions traversé tout l’état de New-York et fait cent lieues sur le lac Érié: nous touchions cette fois aux bornes de la civilisation; mais nous ignorions complètement vers quel lieu il fallait nous diriger. S’en informer n’était pas chose aussi aisée qu’on peut le croire. Traverser des forêts presque impénétrables, passer des rivières profondes, braver les marais pestilentiels, dormir exposé à l’humidité des bois, voilà des efforts que l’Américain conçoit sans peine s’il s’agit de gagner un dollar, car c’est là le point; mais qu’on fasse de pareilles courses par curiosité, c’est ce qui n’arrive pas jusqu’à son intelligence. Ajoutez qu’habitant d’un désert il ne prise que l’œuvre de l’homme. Il vous enverra volontiers visiter une route, un pont, un beau village; mais qu’on attache du prix à de grands arbres et à une belle solitude, cela est pour lui absolument incompréhensible. Rien donc de plus difficile que de trouver quelqu’un en état de vous comprendre. — Vous voulez voir des bois, nous disaient en souriant nos hôtes; allez tout droit devant vous, vous trouverez de quoi vous satisfaire. Il y a précisément dans les environs des routes nouvelles et des sentiers bien percés. Quant aux Indiens, vous n’en verrez que trop sur nos places publiques et dans nos rues; il n’est pas be-

  1. A l’époque de ce voyage, la France faisait l’entreprise qui a abouti à la fondation du royaume de Belgique.