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tisans au grade d’officier. Les corps de volontaires dont les suffrages rencontraient un obstacle menacèrent aussitôt de se dissoudre, si cet obstacle ne s’abaissait, et à ma connaissance le vœu des compagnies, après un moment d’hésitation, fut partout respecté. Cette sanction des officiers par le lord-lieutenant et par le ministre de la guerre n’est point le seul lien qui rattache à l’état les groupes armés : il y en a un autre plus sérieux, le serment de fidélité. Je dis plus sérieux, parce que le respect pour la foi jurée est une des vertus dont se pique avant tout l’honneur britannique. Sur ce point de conscience, les Écossais se montrent peut-être encore plus scrupuleux. On raconte qu’un highlander avait quitté son régiment durant la guerre de la Péninsule et s’en était allé en Amérique. Plusieurs années après sa désertion, on reçut de lui une lettre avec une somme d’argent destinée à payer les services d’un ou deux remplaçans dans le même régiment. « C’était, disait-il, la seule expiation qu’il pût offrir pour avoir violé son serment envers Dieu, et le seul moyen d’apaiser un remords qui ne lui laissait de repos ni jour ni nuit. » Devons-nous attendre des volontaires qui se rangent sous les drapeaux au nom du devoir une moins grande délicatesse que celle du soldat qui s’enrôle pour de l’argent ? Le serment est donc considéré comme une garantie suffisante pour les institutions du royaume que les citoyens armés s’engagent à défendre. Ce serment se prête avec une certaine solennité, en présence d’un colonel ou d’un officier supérieur qui, dans un bref discours, appuie sur les obligations morales que les volontaires vont contracter. J’ai assisté à cette cérémonie dans l’ancienne salle d’armes d’un vieux château historique du Kent, où les murs semblaient prendre à témoin les anciens preux de la parole jurée par des hommes libres.

Ceci fait, le corps est constitué ; il ne s’agit plus que d’habiller, d’armer et d’instruire les membres effectifs. Quiconque assiste à une revue ou à une petite guerre est frappé de la grande diversité d’uniformes qui distingue les compagnies. Il est aisé de voir que la fantaisie a présidé dès l’origine à l’équipement des groupes, formés çà et là presque sans aucune relation les uns avec les autres[1]. Au point de vue pittoresque, cette variété n’est certes point un mal : on se demande seulement si, en temps de guerre, ces groupes de différentes couleurs n’auraient point de la peine à se reconnaître d’une certaine distance, et quelques stratégistes ont déjà proposé aux volontaires d’adopter un signe commun de ralliement, badge.

  1. La circulaire du ministre engageait, il est vrai, les compagnies d’un même comté à se rapprocher le plus possible d’un type uniforme ; elle abandonnait néanmoins ce point au libre arbitre des volontaires et à la sagesse des lords-lieutenans. Il est aisé de voir qu’en cela, comme d’ailleurs dans toute l’organisation de cette armée civile, c’est le libre arbitre qui a été surtout consulté.