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nuage, la vieille Angleterre se figurait défier tous les périls, cachée derrière ses brouillards. Comment les navires ennemis auraient-ils atteint cette île, que les hirondelles ont de la peine à retrouver au printemps ? D’excellens travaux publiés par des hommes de guerre ont dissipé depuis deux ou trois années toutes ces illusions. Le rapport des commissions chargées d’examiner l’état des défenses du royaume a surtout porté aux vieilles superstitions de l’honneur national un coup dont elles ne se relèveront point. Comme il arrive toujours en pareil cas, le pays, éclairé par les écrits qui lui firent voir la situation sous un jour nouveau, passa bien vite d’un excès de confiance à de vagues et confuses terreurs. Peu s’en fallut que dans le premier moment l’Anglais n’eût maudit la mer, cette vieille amie, cette constante alliée de l’Angleterre. On se demanda en effet si, d’après l’expérience faite en Crimée, un ennemi qui s’appuie sur la mer comme sur une base d’opérations ne jouissait pas de grands avantages. Il y avait loin de là aux idées du dernier siècle sur l’île inabordable ; heureusement pour la Grande-Bretagne, un des bienfaits de la libre discussion est de préparer les citoyens à recevoir sans découragement les vérités les plus dures. On remercia les hommes qui avaient fait évanouir une chimère, et la nation se promit bien de consolider par d’autres moyens le système de défense à peu près inexpugnable dont la nature semblait jadis avoir favorisé les îles britanniques.

Un de ces moyens était d’augmenter l’armée : on y songea ; mais le système d’une large armée permanente est tellement opposé à l’esprit de la constitution anglaise et aux usages du pays, qu’il avait peu de chances de rallier les suffrages[1]. Il ne faut pas dire qu’on fût effrayé des charges nouvelles qu’un accroissement de troupes imposerait au budget ; la nation savait très bien que d’une manière ou d’une autre elle paierait les frais de la défense. En ne reculant point devant l’énorme dépense des fortifications, l’état a d’ailleurs montré qu’il craignait bien moins de puiser dans la bourse des contribuables que d’intimider les libertés. L’idée de mettre l’armée anglaise sur le même pied que l’armée française étant écartée par les motifs que je viens de dire, les anciennes traditions de la Grande-Bretagne se présentèrent d’elles-mêmes à l’esprit des citoyens. L’Anglais tient à tout faire par lui-même. Ayant créé ses institutions, ses lois, son commerce, il se demanda pourquoi il n’organiserait pas la guerre, ou du moins la force de résistance aux dangers de

  1. On peut même dire que le principe de la permanence n’a jamais été reconnu par les chambres. Celles-ci prêtent pour une année seulement la force armée au pouvoir exécutif. Dans les cas d’une collision, qui n’a jamais été, qui ne sera sans doute jamais, qu’il est néanmoins permis de prévoir, entre le parlement et la couronne, l’armée se dissoudrait à la fin de l’année dans les mains du chef de l’État.