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daient les jeux, fut tellement ravi de ce tableau qu’il donna au peintre sa fille en mariage. Ces luttes, qui devaient se répéter à des époques régulières, étaient tenues en grande estime. Les Athéniens ouvraient le Prytanée aux artistes qui avaient remporté le prix dans un concours. Là ils étaient nourris aux frais de l’état, partageant cet honneur suprême avec les grands citoyens et les généraux couverts de gloire. Les Athéniens laissaient même exposer au théâtre les œuvres des peintres; ils venaient les y juger comme ils y jugeaient les concours de tragédie. Un jour en effet Zeuxis et Parrhasius se disputaient la palme. Zeuxis avait peint des grappes de raisin : telle était la vérité de ce tableau, telle était l’illusion, que des oiseaux vinrent voltiger sur la scène (les théâtres étaient à ciel ouvert) et becqueter les raisins. Cette histoire nous trouvera tous incrédules, car les anecdotes de ce genre ne sont qu’une forme plus vive de l’admiration, un tour ingénieux et poétique; c’est la métaphore poussée jusqu’à la fiction. Sous le mensonge toutefois il faut démêler le fond vrai, sous l’anecdote les mœurs. Les Athéniens souriaient plus tard de leur fin sourire lorsqu’un archéologue racontait ce trait de Zeuxis; mais lorsqu’il leur parlait d’exposition publique, de théâtre, de scène, ils se fussent récriés s’il n’eût point été d’usage d’exposer ainsi les tableaux. Le mensonge ne serait jamais supporté s’il ne se plaçait dans un cadre vraisemblable.

Dès que l’idée de concours et de récompense s’associe à l’idée d’une exposition, on arrive bientôt à proposer le même sujet à tous les concurrens. Un tel principe est net, logique, conforme à la justice. Il n’y a de concours équitable que celui qui impose à tous les prétendans les mêmes conditions et les mêmes difficultés. Les Grecs ne pouvaient manquer d’appliquer ce principe non-seulement à la peinture, mais aux autres branches de l’art. C’est ainsi que nous voyons Apelle figurer dans un concours où le sujet traité était un cheval. Chaque artiste avait donc peint un cheval. Les rivaux d’Apelle eurent recours à tant d’intrigues qu’ils l’auraient empêché d’obtenir le prix qu’il méritait s’il n’eût eu l’idée de faire amener des chevaux. On présenta successivement à ce singulier jury les œuvres de tous les peintres : le seul tableau d’Apelle leur fit dresser les oreilles. Il fut déclaré vainqueur, comme Darius avait été déclaré roi, par des hennissemens. Les contemporains d’Apelle et d’Alexandre avaient sans doute emprunté à la Perse, récemment conquise, cette fable, qui s’explique, comme la précédente, par le goût de l’hyperbole spirituelle et de l’allégorie. Au lieu de juger sérieusement de semblables récits, il faudrait les accueillir avec l’enjouement sceptique que respirent les dialogues de Platon ou de Lucien.

L’antiquité nous a conservé le souvenir d’un concours aussi