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prêts à couper leur câble. Dans le comté de Norfolk, les nobles avaient placé des perches au toit de leurs maisons, et devaient arborer, en cas de danger, une bannière rouge, pour donner à leurs tenanciers le signal de courir aux armes. La vigilance et l’ardeur martiale n’étaient pas moins grandes à l’intérieur de l’île. Dans les villes de province, des maires, excités par la sainte fureur du patriotisme, couraient les rues, battant eux-mêmes le tambour afin d’appeler les volontaires sous les drapeaux. Ceux-ci affluèrent de toutes parts, et un rapport du ministère de la guerre, daté du 11 novembre 1803, porte leur nombre à 335,307[1]. Les vieillards tout à fait incapables de servir prenaient le bâton de constable, afin de garder les villes, pendant que leurs concitoyens iraient rencontrer l’ennemi en pleine campagne. Ceux qui ont vu alors l’état du pays disent qu’on ne peut se faire une idée des frémissemens d’enthousiasme, des terreurs, des sombres défis, des alarmes, en un mot de tous les sentimens confus dont était alors agitée comme par secousses cette population, non moins grondante et non moins troublée dans son île que le flux et le reflux de la mer qui l’enveloppait en mugissant.

Le cri aux armes ! retentissait peut-être avec plus de force encore, et comme d’écho en écho, le long des montagnes de l’Écosse. Le duc d’York[2] fit un appel à la loyauté des anciennes familles, et leva un grand nombre de bataillons ayant chacun à sa tête le chef patriarcal du clan. C’est ainsi que les Macdonalds, les Macleods, les Mackenzies, les Gordons, les Campbells, les Frasers, d’autres tribus, s’enrôlèrent sous leurs bannières respectives, formant tous ensemble un rempart vivant pour couvrir le nord de la Grande-Bretagne. À Édimbourg, les volontaires accoururent sous les ordres du lieutenant-colonel Hope. Dans ce régiment, les officiers ne jouissaient d’aucune immunité ni d’aucun privilège sur les soldats ; ils marchaient bravement avec tous leurs bagages sur le dos, et le colonel donnait lui-même l’exemple, ne montant jamais à cheval que

  1. Ce nombre se divisait ainsi : infanterie, 297,500 ; cavalerie, 31,600 ; artillerie, 6,207. L’armée anglaise, en comptant les volontaires, les troupes régulières et à milice, se composait alors de 500,000 hommes, chiffre énorme dans un temps où la population était à peu près moitié de ce qu’elle est aujourd’hui. Je dois d’ailleurs faire observer que le nombre des volontaires fut singulièrement accru par une circonstance dont on n’a point assez tenu compte. Le parlement avait ordonné une levée en masse qui devait embrasser tous les hommes entre l’âge de dix-sept et de cinquante-cinq ans. Les membres des divers corps de volontaires se trouvaient pourtant exempts de cette sorte de conscription. Il en résulta que la population s’enrôla par milliers dans l’armée libre : les uns sans autre calcul que le patriotisme, les autres pour échapper à la levée en masse. Le gouvernement déclara en effet plus tard que le mouvement des volontaires avait rendu la conscription inutile.
  2. Alors commandant-général des forces britanniques, poste qu’occupe aujourd’hui le duc de Cambridge.