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ajouter sur ce point une foi entière au langage officiel ? Je dois avouer que, si je consulte l’opinion des généraux anglais du temps, il me sera difficile de me former une grande idée de ces troupes irrégulières. Ne peut-on pas, il est vrai, expliquer la sévérité de leurs jugemens par l’espèce de dédain avec lequel les hommes de guerre regardent les combattans qui ne sont pas du métier ? Des officiers plus impartiaux conviennent que ces levées fraîches, mal disciplinées et peu exercées au maniement des armes, auraient opposé une faible résistance aux bataillons français ; mais ils soutiennent que, dans le cas d’une retraite, elles auraient pesé comme un châtiment sur les flancs de l’armée vaincue.

Le mouvement des anciens volontaires se ralentit de 1799 à 1803, avec le danger d’invasion étrangère qui s’éloignait. La déclaration de guerre de Bonaparte au peuple anglais ralluma tout à coup une ardeur qui commençait à s’éteindre. Des placards collés aux murs des villages les plus éloignés annoncèrent que l’ennemi allait peut-être venir. On distribua aux paysans quatre-vingt-dix mille piques. Les fermiers s’engagèrent volontairement à fournir des hommes, des chevaux et des charrettes pour transporter les troupes sur les côtes. Une chaîne de signaux chargés de matières combustibles non-seulement courait le long des rivages de l’Angleterre, mais traversait l’île et se rattachait à chaque colline. À la moindre alerte, on y mettait le feu, et les Anglais de ce temps-là qui vivent encore parlent avec émotion du tumulte armé qui se répandait aussitôt sur le pays, couvert par une flamme lugubre. À Pevensey, des bandes d’ouvriers terrassiers se tenaient prêts à couper les digues de mer et à inonder toute la campagne environnante, sans doute en souvenir de la glorieuse Hollande. Dans les comtés maritimes, les députés-lieutenans faisaient abattre les chevaux qui, dans le cas d’une surprise, auraient pu tomber aux mains de l’ennemi, scier les essieux des voitures, détruire le blé et le bétail que l’on ne pouvait pas emporter. Ils promettaient aux propriétaires que l’état les indemniserait plus tard: mais on ne voulait pas même les entendre, car chacun oubliait ses intérêts et n’avait à cœur que le salut du pays. Les officiers de douane reçurent l’ordre de transporter dans l’intérieur ou autrement de laisser couler à la première alarme tous les vins, eaux-de-vie ou autres liqueurs spiritueuses qui étaient en tonneaux sur les côtes. Les églises et les théâtres furent convertis en casernes. Des patrouilles de citoyens, surtout dans les villes maritimes, traversaient jour et nuit les rues, les jetées et les dunes. C’est surtout quand la marée était haute, la brise douce et le brouillard épais, que tous les yeux s’attachaient sur la mer avec une inquiétude fiévreuse. À chaque moment, on s’attendait à voir paraître la flotte ennemie, et tous les vaisseaux de guerre anglais se tenaient