Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/520

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

curieux. L’immense pelouse qui s’étendait autour de l’enceinte réservée aux troupes et aux billets de faveur, quoique protégée de distance en distance par des balustrades de fer assez élevées, commençait à se couvrir de monde, car hommes et femmes sautaient bravement par-dessus les barrières. Comme rien ne fixait encore l’attention de la masse, les cokneys, les étrangers, les oisifs (et tout le monde était oisif ce jour-là) allaient, venaient, revenaient, s’arrêtaient, s’asseyaient sur l’herbe ou achetaient le programme de la fête, que les marchands déclaraient être une merveille : it is a wonder ! Des essaims de jeunes filles, dont les unes étaient venues pour voir et les autres pour être vues, les cheveux longs et retenus derrière le cou dans un filet de soie, traversaient, en agitant leurs ailes, — leurs dentelles, veux-je dire, — des groupes de causeurs qui commençaient à se former. Dans un de ces groupes, où se montraient quelques uniformes, je remarquai un vieillard d’environ soixante-dix ans, dont les traits exprimaient la ; plus vive émotion chaque fois que de nouveaux régimens de volontaires débouchaient par la grille du parc avec un grand bruit d’instrumens de cuivre. Son maintien n’annonçait pourtant rien de militaire : c’était un ancien marchand de la Cité qui vivait maintenant retiré aux environs de Londres dans une maison de campagne. Si son cœur était agité, c’était par le rapprochement entre la revue qui allait avoir lieu et celle à laquelle il avait assisté dans Hyde-Park en 1803.

« Quoique je n’eusse alors que quatorze ans, disait-il, je m’en souviens comme si c’était d’hier. J’étais presque à cette même place, et il me semble encore voir défiler nos anciens régimens. Les volontaires de ce temps-là ne ressemblaient guère à ceux d’aujourd’hui. Ils avaient les cheveux poudrés et portaient la queue, — une trop longue queue, je l’avoue. Leur habit d’uniforme était rouge, avec des paremens et des revers blancs. Un énorme jabot de chemise raide et empesé leur hérissait la poitrine, tandis que de grosses épaulettes leur encaissaient les encolures. Leurs membres inférieurs étaient emprisonnés dans d’étroites culottes courtes auxquelles s’ajustaient de longues guêtres boutonnées. Un tricorne à plume, dont la forme vous semblerait aujourd’hui ridicule, d’autres fois un casque antique, surmontait l’édifice poudré et pommadé de leur coiffure. Ils n’avaient point d’élégantes et légères carabines comme celles que je vois passer au bras de nos modernes volontaires, mais de bons vieux fusils à chien et à pierre, le réel Brown-Bess dans toute sa primitive naïveté. » — Comme cette description des volontaires de 1803 faisait un peu sourire à la ronde, le vieillard reprit d’un air grave : « Ne riez pas d’eux ; ils ont sauvé le pays. À ceux qui nous parlent aujourd’hui des dangers d’une invasion étrangère et des mauvais projets de nos voisins, nous pouvons ré-