Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

irréprochables, qui prétendent continuer les traditions de l’ancien répertoire, de répéter le mot de Mme de Maintenon en contemplant les carpes des piscines royales, et de regretter la bourbe du vaudeville! J’ai regret de dire que j’ai ressenti quelque chose de cette émotion mélancolique, qui n’est pas sans amertume, en écoutant la comédie de M. Camille Doucet: la Considération. Je dis que cette émotion n’était pas sans amertume, car je me reprochais vivement de ne pas prendre assez d’intérêt à la fable simple et honnête qui se déroulait sur la scène, de ne pas écouter avec assez de recueillement et d’onction les leçons morales et sensées dont la pièce est remplie. Il est certes amer de ne pas pouvoir assez admirer ce qu’on honore. Jamais pièce ne fut en plus parfait rapport avec son titre : la Considération. Elle est en effet digne de considération sous tous les rapports ; ses draperies ne font pas un pli, et ce n’est pas pour son visage d’une impassibilité mondaine si correcte que fut jamais inventé le masque de Thalie. Son regard digne et froid impose involontairement le respect; elle ne rit pas, elle sourit à peine d’un sourire imperceptible, comme celui qui distingue les personnes auxquelles une haute situation interdit les manifestations trop extérieures de leurs sentimens. Sa tenue est parfaite, et vraiment c’est une comédie irréprochable. Cette perfection, et la considération qui en est la conséquence, ne laissent pas d’être assez embarrassantes pour la critique. C’est en vain qu’elle chercherait à entamer cette œuvre, ses dents de serpent ne trouveraient point une place où mordre. J’ai beau regarder de tous côtés, je n’aperçois aucun angle, aucune anse, aucune anfractuosité par où l’on puisse la saisir : comme toutes les personnes entourées de considération, elle ne donne prise à la critique par aucun endroit. Aussi, en désespoir de cause, je lui ferai le reproche de trop bien justifier son titre. Votre pièce, dirai-je à M. Doucet, mérite trop la considération pour une comédie; qu’est-ce, je vous prie, qu’une comédie qui ne rit pas, qui sourit à peine, et qui, pendant quatre actes, nous glace de respect? La comédie ne s’accommode pas d’une tenue si parfaite ; elle n’a pas besoin d’être réservée, elle n’a besoin que d’être honnête. Je voudrais qu’à l’avenir M. Doucet eût le courage de chercher pour ses comédies d’autres titres de succès que cette glaciale estime. Si M. Doucet pouvait interroger les grandes œuvres dramatiques, et que celles-ci pussent lui parler, elles lui répondraient qu’elles ne se sont jamais souciées de tant de considération, et que leur unique ambition était d’imposer le respect au public non par la tenue et la réserve, mais par la sympathie, la cordialité et la familiarité.

Tout est d’ailleurs à l’unisson dans cette pièce, les sentimens, les caractères et le langage. Les sentimens sont d’une morale inattaquable, mais sans grande force; les personnages sont supportables, même quand ils sont odieux; le langage est agréable, facile, mais un peu éteint. La morale de M. Doucet est vraiment trop optimiste. Au point de vue mondain, je suis loin de lui en faire un reproche; mais l’optimisme, à moins d’être tout à fait résolu et déterminé, a un grand défaut dans l’art, qui est de rendre impossibles les types accentués. Quand on écrit une comédie avec un partipris de bienveillance bénigne, on se retranche nécessairement le droit de mettre les caractères humains en relief. Ce parti-pris impose au poète le