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ment parler, que des vaudevilles agrandis, des vaudevilles qui essaient d’atteindre à la hauteur de la comédie. Je ne sais si cette tentative réussira et si l’on pourra dire bientôt :

Le jour du vaudeville est à la fin venu ;


mais des signes trop évidens indiquent que le vaudeville partage les mœurs du temps : il est devenu ambitieux et tend à s’élever. Et vraiment, si l’on y réfléchit bien, cette tendance n’a rien que de raisonnable, et mérite beaucoup plutôt d’être encouragée que d’être condamnée. Si la comédie, depuis si longtemps morte, doit renaître, d’où sortira-t-elle, je vous prie, et avec quels élémens se constituera-t-elle ? Pourquoi donc ne naîtrait-elle pas du vaudeville? Elle est bien née une fois déjà de la farce italienne, laquelle n’était, j’imagine, ni très raffinée, ni fort bien élevée. Vous trouvez que cette origine ne serait pas assez noble pour la comédie; mais vous oubliez que le théâtre de Molière n’en a pas eu d’autre, et que d’ailleurs la comédie est de tous les genres littéraires celui qui peut le plus aisément se consoler de n’être pas de noble extraction et de ne pas avoir de généalogie aristocratique. La comédie est d’essence populaire; son origine est humble toujours et part de bas : elle ne se pique pas d’être noble, même lorsqu’elle est grande ; elle se pique d’être humaine, et cela lui suffit. Bien loin de blâmer l’effort instinctif et aveugle qui pousse nos jeunes auteurs dramatiques à transformer le vaudeville en comédie, nous serions donc plutôt tentés de l’encourager, car le vaudeville moderne pourrait facilement devenir, entre les mains d’un homme de génie, ce que devint la farce italienne entre les mains de Molière. Il trouverait facilement dans ses types, ses bouffonneries et même dans ses licences les élémens premiers, la matière informe et vivante de ses œuvres, et il ne les trouverait pas ailleurs. De l’ancienne comédie que reste-t-il en effet? Rien, si ce n’est un cadre presque hors d’usage et des traditions de déclamation morale et sentencieuse, ainsi que vous pourrez vous en convaincre aisément, si vous allez entendre quelques-unes de ces œuvres estimables et édulcorées qui se décorent du nom de comédies. Si la grande comédie a chance de revivre, elle sortira de la farce parisienne, car il y a de nos jours, qu’on ne s’y trompe pas, une farce parisienne, comme il y eut au XVIIe siècle une farce italienne, et voilà, pour le dire en passant, une des raisons pour lesquelles il ne faut pas trop mépriser cette démocratie littéraire dont nous parlions en commençant : elle peut fournir tous les matériaux d’une grande œuvre. Qu’un homme de génie, exempt de sots dédains et de répugnances académiques, prenant comme Molière son bien où il le trouve, vienne à paraître; il n’aura qu’à se baisser et à ramasser, et la comédie renaîtra.

Bon gré, mal gré, la critique est donc forcée d’aller là où se manifestent des signes d’activité et où se rencontrent des phénomènes intéressans à étudier. Ce n’est pas sa faute, si la vie se retire des genres honorés de la considération traditionnelle, et si elle se réfugie dans des genres dédaignés. La vie est une flamme en apparence capricieuse, aussi difficile à fixer que l’esprit, dont il a été dit qu’il soufflait où il voulait. Combien de fois ne nous est-il pas arrivé, en écoutant quelqu’une de ces comédies nouvelles si