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qui ont bien de la peine à se défendre contre la corruption de la foule, qui envahit les théâtres et les salles de concert. Il semble que l’âme ait perdu sa virtualité d’affirmation, qu’une politesse banale envers les individus et de coupables ménagemens envers les intérêts nous aient enlevé le courage d’amer hardiment ce qui est beau et de repousser le laid. On n’ose plus rien blâmer, plus rien haïr, et les œuvres de l’esprit, quel qu’en soit le mérite, sont accueillies avec une égale bienveillance, qui tue l’émulation et décourage le vrai talent. Je ne puis pas faire ces réflexions sans porter ma pensée vers l’écrivain éminent qui, pendant près de trente ans, a rempli ce recueil de pages vigoureuses d’une saine critique. Il serait aisé de prouver aujourd’hui que l’opposition que fit Gustave Planche au mouvement littéraire, et surtout au théâtre de la nouvelle école de 1828, a été salutaire, qu’il a empêché que les effluves d’un faux enthousiasme et les exagérations d’une sensibilité maladive ne fussent considérés comme des traits de génie et des Inventions sérieuses et durables. Or cette mission de la critique d’éveiller la conscience publique, de protester contre le mal, d’exciter les talens généreux et d’empêcher que les formes corruptrices de l’art ne fassent oublier ce qui est éternellement vrai, cette mission, que Gustave Planche a remplie avec tant d’éclat et d’honnêteté, est la plus belle et la plus noble qu’on puisse ambitionner après le don divin du génie créateur.


P. SCUDO.


REVUE DRAMATIQUE.


Il y a un peu plus de trente ans que l’illustre M. Royer-Collard prononçait ce mot, qui est resté célèbre : « La démocratie coule à pleins bords. » Que dirait-il s’il revenait parmi nous? Ce n’est plus à pleins bords qu’elle coule aujourd’hui, c’est, si l’on veut bien nous passer cette expression, à pleine écluse. Ce qui se passe dans le monde politique, nous le savons tous; mais ce qui se passe dans le monde de l’intelligence et de l’art est bien plus significatif encore. Il est vraiment curieux de suivre les corrélations mystérieuses qui existent entre le monde politique et social et le monde de l’intelligence, de voir combien les faits extérieurs répondent exactement aux faits moraux, de saisir les affinités qui unissent ces deux ordres de phénomènes, distincts en apparence. Il y aurait une étude très instructive à faire sur le développement parallèle de ces deux ordres de faits; mais un bulletin de théâtre ne peut pas être un cours de psychologie sociale, et nous nous bornerons à quelques observations plus directement en rapport avec le sujet qui nous occupe. Avez-vous remarqué la condition bizarre que les événemens ont faite à la démocratie dans notre société? Elle est souveraine en réalité, tout se fait pour elle et même par elle, et cependant personne ne veut lui donner le titre de reine. Tout le monde obéit à ses ordres, et