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royaume aufssi beau que le prétendent les dépêches italiennes. L’idée de l’unité est toute récente même dans la seule classe de la société napolitaine qui l’ait chaudement épousée, la classe moyenne. Les observateurs froids et désintéressés des récens événemens napolitains ont constaté que le peuple proprement dit, séduit par la bonhomie populaire, la débonnaireté chevaleresque, les fantasques allures de Garibaldi, s’était épris pour le dictateur d’un enthousiasme d’enfant, mais qu’au fond il se soucie peu de la révolution, y a parfois assisté avec une froideur dédaigneuse, et n’a pas gardé de haine pour la dynastie déchue. Les témoins dont nous parlons n’ont point été dupes de la fantasmagorie du suffrage universel, bien qu’ils reconnaissent que le vote, malgré la façon extravagante dont il a été recueilli, était bien pour le moment l’expression du vœu de la majorité. À Naples en effet plus encore que dans les provinces du nord de l’Italie, l’annexion au Piémont a gagné les esprits comme une nécessité impérieuse, si l’on voulait échapper au désordre et à l’anarchie démagogique, ou à cette autre forme d’anarchie non moins redoutée qu’auraient entraînée la réaction et la restauration du régime déchu. Ceux qui, voyant Naples prendre une résolution aussi grave que l’abdication de l’autonomie sous la pression temporaire de cette double peur, croient que les Napolitains regretteront leur dédition au Piémont se trompent, comme ceux qui avaient prédit des réactions semblables dans le nord de l’Italie ; mais les plus confians ne contesteront pas que les populations napolitaines, moins énergiques, plus mobiles, offrant moins de solidité morale que les peuples du nord de l’Italie, ne puissent fournir des élémens plus nombreux aux meneurs d’opposition qui viendraient à se lever contre le ministère piémontais. Sans être pessimiste, on est fondé à penser que le gouvernement de la Sicile et de Naples sera une œuvre plus difficile et plus tumultueuse, soumise à plus de fluctuations que le gouvernement de l’Italie septentrionale. Par sa retraite si généreusement et si habilement désintéressée, Garibaldi s’est assuré la conservation de son ascendant populaire, et s’est réservé pour un autre grand rôle. Quand les rivalités de partis et de personnes reparaîtront, Garibaldi sera toujours ou un chef d’opposition redoutable ou un chef de mouvement irrésistible. Or c’est l’entreprise sur la Vénétie qui sera l’objet de la compétition entre les partis, et quand le déchirement des factions deviendra dangereux, c’est en marchant sur la Vénétie que le gouvernement rétablira l’union dans les esprits et reprendra la direction du mouvement. À quoi va songer Garibaldi sur son rocher de Caprera, si ce n’est à l’affaire de la Vénétie ? Quelle est la distance qui nous sépare donc du conflit ? C’est à la patience de Garibaldi qu’il faut la mesurer. C’est de lui que dépend la durée de la trêve dont nous jouissons. Garibaldi a l’air de ne nous donner que six mois de répit ; les événemens intérieurs de l’Italie, la difficulté de l’entreprise, des diversions imprévues éclatant en Europe, la force des choses, peuvent le contraindre à prendre un plus long délai. Quoi qu’il en soit, il n’est pas moins vrai que