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tits services, Landais, de garçon tailleur, devint valet, puis maître de la garde-robe. Enfin le duc le fit trésorier et receveur-général, qui était la première charge de l’état aussi bien qu’en Angleterre, en sorte que Landais était le maître, non-seulement des finances, mais encore de la justice, de la police et des affaires d’état, disposant des charges et des bénéfices à son gré, faisant les dépêches des ambassadeurs, répondant aux lettres des princes étrangers, et entretenant auprès d’eux des intelligences. Pierre Landais était un esprit extraordinaire, infatigable dans le travail, hardi dans les entreprises, secret dans les intrigues, enfin un ministre digne de l’estime des grands et du peuple, s’il eût eu moins d’orgueil, moins de passion pour la vengeance, moins de dévouement pour ses parens, plus de ménagemens pour les grands seigneurs, et s’il n’eût pas usé tyranniquement de l’ascendant qu’il avait pris sur l’esprit du prince... Quelque dur que soit un gouvernement légitime, les esprits s’y soumettent ordinairement, sans entreprendre du moins de secouer le joug; mais il n’en est pas de même de l’autorité des favoris, surtout quand ils sont d’une naissance obscure, parce qu’il est plus ordinaire à ces sortes de gens de s’oublier, et qu’ils éloignent de la faveur ceux en qui la naissance se trouve jointe au mérite[1]. »

Tel est le résumé, présenté en termes adoucis, des faits et des imputations recueillis par les auteurs de l’histoire bénédictine dans les écrits de d’Argentré et d’Alain Bouchart. Entre tous les écrivains bretons qui se sont occupés du ministre de François II, M. Levot a seul répudié la qualification, traditionnelle en Bretagne, de garçon tailleur attribuée à Pierre Landais. Ce personnage aurait été, selon son plus récent biographe, le fils d’un très riche marchand anobli, une sorte de Jacques Cœur au petit pied qui aurait captivé la faveur du duc de Bretagne en lui faisant des avances avant son avènement au trône. En rendant hommage au savoir et à la parfaite compétence de M. Levot, je dois déclarer que le désir, fort honorable d’ailleurs, de réagir contre des appréciations iniques me paraît l’avoir mis en contradiction, sur ce point-là du moins, avec les faits établis et avec les aveux de Landais lui-même, qui, dans le cours de son procès, n’hésite pas à se reconnaître issu de parens pauvres et obscurs. Si sa famille a pris des armes, c’est probablement qu’elle les a reçues pendant la vie du grand-trésorier, et je ne vois pas comment le titre de maître de la garde-robe, porté par Landais conjointement avec celui de trésorier-général, aurait pu donner lieu à ce que M. Levot appelle cette ridicule histoire de garçon tailleur, car personne n’ignorait certainement en Bretagne, au XVIe siècle, l’importance et

  1. Dom Lobineau, Histoire de Bretagne, t. Ier, liv. XX, p. 739.