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geance de son souverain et en promettant monts et merveilles à son vassal; mais tout à coup le duc de Berri, chassé de son apanage, « fort pauvre et désolé, nous dit Comines, de ce qu’il était privé de son intention, » imagine de se réfugier près de François II, et, par un changement dont il est fort difficile de pénétrer les motifs, celui-ci prend d’abord entre les deux frères une sorte d’attitude de médiateur pour passer bientôt vis-à-vis de la France à l’état d’hostilité. Il marche sur la Normandie, afin d’en déloger l’armée royale, forme une nouvelle et plus étroite confédération avec les ducs de Bourgogne et d’Alençon, et signe enfin une alliance avec l’Angleterre. La rapidité de ces mouvemens est bientôt dépassée toutefois par la prestesse de ceux qu’il se donne incontinent en agissant dans un sens exactement contraire. Deux mois à peine après le traité passé avec Edouard IV, et lorsque, sur la pressante invitation de François II lui-même, le duc de Bourgogne venait d’entrer en France, le duc de Bretagne reprend avec Louis XI des liaisons qui la veille paraissaient impossibles; il se remet à sa merci pour la solution de toutes les difficultés pendantes, abandonne la Normandie, dont il avait conquis les places principales, et promet à son suzerain de l’assister et servir envers et contre, tous ceux qui sa personne et son royaume voudraient grever[1]. La fureur du duc de Bourgogne, à la nouvelle d’un pareil traité, se comprend assurément beaucoup mieux que la soudaine conclusion de cet acte lui-même. « Bien marri fut-il, nous dit le sagace historien de ces tristes temps, en apprenant par le hérault nommé Bretagne comment son maître avoit fait paix avec le roy et renoncé à toute alliance, nommément à la sienne, vu qu’il ne s’étoit mis aux champs que pour secourir le dit duc, et fut en très grand dangier le dit hérault. »

Cependant la colère de Charles de Bourgogne fut aussi courte que l’avait été la phase politique traversée par la volonté de François de Bretagne. L’année suivante, déjà le vent avait viré : Louis XI et François II s’adressaient l’un à l’autre une menace et une injure. Par l’intervention de Tanneguy-Duchâtel, l’un de ces grands transfuges bretons passés au service du royaume, le roi avait attiré à sa cour le jeune vicomte de Rohan. C’était laisser comprendre trop clairement qu’il entendait régler à sa guise la future succession ducale qu’on pouvait s’attendre alors à voir prochainement s’ouvrir, car François II n’eut d’enfans que de son second mariage et qu’en 1477 seulement. Le chef de la maison de Rohan faisait valoir, outre ses

  1. Voyez le texte du traité conclu à Ancenis le 10 septembre 1468 entre le duc de Calabre pour le roi et Guillaume Chauvin, chancelier de Bretagne, pour le duc, avec les ratifications consenties par les états du duché. — Preuves de l’Histoire de Bretagne de dom Morice, t. II, ch. 188 et 191.