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voir que le duc de Bretagne fût un très grand seigneur, car toute compaignie vivoit sur ses coffres[1]. » On sait que la fronde du XVe siècle finit comme celle du XVIIe par une large distribution de gouvernemens, d’apanages et de pensions, avec cette différence toutefois que Louis XI se montra beaucoup plus soucieux que Mazarin de reprendre ce qu’il avait abandonné, par l’excellente raison que ce qui ne valait plus que de l’argent sous Anne d’Autriche représentait en 1465 de la puissance territoriale et militaire.

Le duc de Berri, frère du roi, dont le nom avait couvert cette trame, ayant obtenu pour sa part du butin la Normandie, François II fut donné par les princes confédérés comme guide à ce triste adolescent. Il dut donc le suivre à Rouen, où la main invisible, mais toujours présente, de Louis XI ne tarda point à lui susciter de telles difficultés, et bientôt après de tels périls, que force lui fut de déguerpir au plus vite afin d’aller défendre son duché[2]. Le roi était en effet sur le point de franchir la frontière de Bretagne ; ses agens y semaient déjà l’or et les promesses, et les théologiens de la couronne avaient inspiré de tels scrupules à l’évêque de Nantes sur la légitimité de la juridiction ducale dans son ressort diocésain, que ce prélat implorait avec la plus vive ardeur l’assistance du roi suzerain pour protéger la liberté des églises bretonnes.

Dans la courte campagne terminée par le traité de Saint-Maur, François II avait acquis moins de gloire que d’expérience. Il n’hésita point à profiter de celle-ci, en usant sans scrupule, pour son propre compte, afin de sortir d’embarras, des moyens qu’il voyait si bien réussir à Louis XI. Il rompit donc avec le frère du roi, et dans une promenade militaire Louis reconquit la Normandie ; le duc renonça à toute liaison avec le comte de Charolais, devenu bientôt après duc de Bourgogne, et avec les grands confédérés, au premier rang desquels il venait de combattre. Le roi paya sans hésiter cette volte-face en abandonnant le malencontreux évêque à la ven-

  1. Mémoires de Philippe de Comines, année 1465, liv. Ier, ch. 4.
  2. « Incontinent que l’entrée des ducs de Normandie et de Bretaigne, qui étoient allés prendre la possession de la duché de Normandie, fut faite à Rouen, ils commencèrent à avoir division ensemble quand ce fut à départir le butin, car étoient avec eux ces chevaliers qui vouloient chacun en avoir du meilleur endroit soy… D’autre part le duc de Bretaigne en vouloit disposer, car c’étoit celuy qui avoit porté la plus grande mise et les plus grands frais en toute chose. Tellement se porta leur discord qu’il fallut que le duc de Bretaigne, pour crainte de sa personne, se retirât au mont de Sainte-Catherine près Rouen, et fut leur question jusque-là que les gens du dit duc de Normandie avec ceux de la ville de Rouen furent prêts à aller assaillir le dit duc de Bretaigne jusques au lieu dessus dit, et il fallut qu’il se retirât le droit chemin vers Bretaigne. Et par cette division marcha le roy près du pays, et pouvez penser qu’il entendoit bien et aidoit à conduire cette affaire, car il étoit maître en cette science. » Comines, liv. Ier, ch. 15.