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La Grèce n’a donc pas été plus heureuse que l’Italie moderne. Avant même que les Romains ne l’eussent pillée, elle avait commencé à se dépouiller par ses propres mains. Ses artistes allaient vivre à la cour des Séleucides ou des Ptolémées; ses tableaux passaient les mers pour enrichir des pays jadis barbares, de même que les tableaux italiens ont grossi les musées de l’Europe. L’art s’est affaibli en quittant ses divers centres pour se faire courtisan. Les princes, qui lui offraient tant de modèles réunis dans leurs demeures, ont plutôt contribué à cet affaiblissement, car l’érudition a tué l’inspiration chez les peintres, de même qu’elle l’a tuée chez les poètes alexandrins. L’horizon plus étroit, mais les traditions fermes d’une école locale, qui suit sa voie sans regarder autour d’elle, sont une condition de puissance et d’originalité, tandis que les modèles accumulés dans les musées favorisent une science stérile, confondent les principes les plus opposés et conduisent à l’éclectisme. Enfin l’éclectisme, source de jouissances si vives pour les critiques ou les amateurs, est un danger pour l’art, comme le panthéisme pour les religions. Voilà de graves questions, qui ne peuvent être traitées en passant, et qui du reste seront toujours discutées vainement, parce que la marche de la civilisation a quelque chose d’irrésistible, comme le soulèvement périodique des flots. Il suffit de reconnaître que les Grecs avaient, dû, aussi bien que les modernes, rassembler les monumens de l’art et former des musées. Les villes libres avaient même donné l’exemple aux rois. Athènes possédait une collection de tableaux dans les Propylées, et Polémon, que je citais plus haut, avait décrit cette collection dans un traité spécial. Le temple de Junon à Samos, le temple de Diane à Éphèse, contenaient également de véritables galeries de tableaux, car les anciens, pour les désigner, emploient le mot de pinacothèque, qui est l’équivalent de musée, avec le sens qu’on lui prête aujourd’hui.

C’étaient là de véritables expositions; mais les Grecs en avaient d’autres, plus solennelles, permanentes, et qui s’étendaient chaque année. Peut-on nommer Delphes, l’Acropole d’Athènes, Olympie, sans se figurer aussitôt un monde de chefs-d’œuvre auquel tous les artistes et tous les âges apportent leur tribut? Depuis les origines de l’art grec jusqu’à son avilissement, c’est-à-dire pendant dix siècles, les générations ne cessèrent point d’y entasser les monumens, les colosses, les statues de proportion humaine, les bas-reliefs, les tableaux, les vases d’un travail exquis, les offrandes de toute espèce. Olympie surtout, que les Hellènes appelaient leur patrie commune, où ils venaient à des époques régulières oublier leurs guerres, célébrer des fêtes, former un congrès pacifique auquel présidait le plaisir, Olympie était autant le sanctuaire de l’art que le sanctuaire de la religion. Non-seulement les athlètes victorieux se voyaient à