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on voit, écrire à peu de chose près l’histoire des états-généraux de la monarchie française. Toutefois il y aurait à signaler une différence notable, et celle-ci suffirait seule à expliquer pourquoi les assemblées délibérantes ont si longtemps fonctionné en Bretagne avec une efficacité peu bruyante, tandis qu’elles ne furent malheureusement en France que des expédiens mis en œuvre dans des jours difficiles. Sous le régime des ducs, une périodicité annuelle, ou bisannuelle tout au moins, avait fait des états un moyen habituel et un instrument régulier de gouvernement. Si l’on excepte Pierre Mauclerc, grand centralisateur, qui n’avait rien de breton dans les instincts non plus que dans le sang, aucun duc de Bretagne n’avait estimé possible de se passer du concours de ses conseillers-nés pour lever des impôts, déclarer la guerre, modifier l’état des terres, ou la condition des personnes, bien moins encore pour régler les fréquentes difficultés que présentait, relativement à la succession au trône, le droit des femmes, maintenu quelquefois jusque dans les lignes collatérales. À ces intérêts généraux, objet constant de délibérations libres et mûries, venait se joindre l’exercice ordinaire de la justice, car il appartenait aux états de réformer par voie d’appel les jugemens rendus par toutes les juridictions seigneuriales. Longtemps les membres des trois ordres avaient statué sur ces matières dans le cours de leurs sessions ; mais le nombre des appels se multipliant chaque jour avec celui des contestations, des commissaires choisis entre les membres des états reçurent charge de statuer au lieu et place de ceux-ci, et cette délégation se maintint jusqu’aux dernières années du règne du duc François II. Ce fut en effet en 1486 qu’avec l’assentiment de l’assemblée souveraine, ce prince érigea une cour sédentaire de justice, composée d’un président et de douze conseillers. Cette cour, établie d’abord à Vannes, transportée bientôt après à Rennes, devint le célèbre parlement de Bretagne, étroitement associé pour la défense des institutions jurées par nos rois aux états de la province, et dont la situation était d’autant plus forte que, sans aspirer pour lui-même, comme le parlement de Paris, à l’exercice de droits politiques, il demeurait toujours le gardien vigilant des traités qui les avaient assurés.

La Bretagne portait donc à ses antiques institutions un attachement profond. Justement fière de sa liberté calme et forte, elle s’indignait dès le XVe siècle à la pensée qu’on pût jamais songer à la soumettre au régime sous lequel les Français, tour à tour factieux ou pressurés, vivaient durant le règne orageux des princes de la maison de Valois. « Quand les Bretons connurent, nous dit l’aumônier de la duchesse Anne, écrivant peut-être dans le palais de Louis XII, que le roy de France les vouloit de fait appliquer à lui