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tanément à Nantes, à Rennes, à Vannes, en Cornouailles et dans le pays de Léon, des princes issus d’une souche commune; mais ces princes, qui purent parfois accepter les Francs comme auxiliaires, ne les considérèrent jamais comme des dominateurs. Il était naturel que l’exiguïté de leurs possessions conduisît les chroniqueurs à attribuer à chacun de ces chefs un titre moins élevé que celui auquel se rattache d’ordinaire l’idée de la puissance suprême. Rien cependant n’autorisait l’abbé de Vertot, le contrôleur-général de Laverdy et les autres publicistes officiels à prétendre que dès lors la qualification royale cessa d’être portée par les souverains bretons d’ordre exprès des rois de France, en témoignage d’une dépendance reconnue. Il y eut assurément dans la péninsule certains interrègnes durant lesquels il est fort difficile de déterminer en quelles mains résidait l’autorité principale; mais ces interrègnes ne profitèrent aucunement au droit des princes mérovingiens, demeurés parfaitement étrangers à la Bretagne, dont le premier soin, sitôt qu’elle parvenait à triompher de l’anarchie, était toujours de reconstituer sa propre unité.

Ce fut sous Charlemagne seulement que la conquête de ce pays put être accomplie, après trois expéditions qui avaient attesté la résistance acharnée, quoique impuissante, des populations de l’Armorique. Aussi le grand empereur eut-il à peine fermé les yeux que le peuple breton rouvrit contre ses débiles héritiers une lutte dont les débuts sont revêtus par la tradition celtique d’une sorte de grandeur homérique. Par une mesure qui n’atteste pas moins son imprévoyance que sa faiblesse, Louis le Débonnaire avait remis la garde de cette redoutable contrée à un chef indigène, issu, selon les uns, d’une origine royale, sorti d’après les autres du sang le plus obscur, mais auquel il n’a certainement manqué qu’un plus vaste théâtre pour s’asseoir à jamais au rang des plus grands hommes. Lieutenant-général de l’empereur, investi, paraît-il, de toute sa confiance, Noménoé profita de ses pleins pouvoirs pour préparer le soulèvement de la Bretagne avec une habileté patiente, plus autorisée par le patriotisme que par la loyauté. Brûlant lui-même de toutes les passions nationales dont il était l’instigateur, il appela à l’heure opportune tous les Armoricains aux armes, depuis les rochers d’Occismor, qui avaient entendu les chants de la Table-Ronde, jusqu’aux confins de la vaste forêt où avait disparu Merlin. A Ballon, obscur hameau situé aux bords de la Vilaine, se livra l’une de ces batailles épiques où les peuples sont aux prises et qui décident de leur fortune et du nom même qu’ils vont porter. Ecrasés par l’élan de la cavalerie bretonne, les Francs et les Saxons de Charles le Chauve s’enfuirent, disent les chroniqueurs, jusqu’au Mans sans prendre haleine, et Noménoé fut