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de leur monarchie naissante. Aussi, dans la pénombre de l’époque mérovingienne, entrevoit-on des efforts mal concertés, mais continus, pour établir, soit par les armes, soit par des transactions dont la forme nous échappe, des colonies germaniques aux marches de la Bretagne, et les cartulaires de nos abbayes, source presque unique de l’histoire de ces temps reculés, nous montrent-ils simultanément, dans la zone-frontière placée sous la domination des premiers rois bretons, des colons gallo-romains, des Francs et jusqu’à des peuplades de Frisons, tous étrangers par l’origine aussi bien que par le langage aux populations celtiques de la Domnonée.

Clovis comprit sans doute de quelle importance il était pour lui de s’ouvrir un accès vers l’Océan pendant qu’il étendait ses conquêtes au sud de la Loire; mais n’étaient deux lignes de Grégoire de Tours portant les traces visibles d’une interpolation[1], il n’y aurait pas un témoignage écrit d’où l’on pût inférer que les armes de ce prince eussent fait quelques progrès dans l’intérieur de la Bretagne. C’est pourtant sur cet unique passage, attribuant à Clovis une conquête toute chimérique, que les historiens français, écrivant par ordre, depuis Nicolas Vignier, historiographe d’Henri IV, jusqu’aux faussaires payés par le duc d’Aiguillon, ont prétendu établir la vassalité originelle du duché envers la couronne, effort poursuivi avec une persévérance qui aurait de quoi surprendre, si l’on ne savait qu’il est habile de simuler le droit lors même qu’on peut déployer l’appareil de la toute-puissance.

Depuis le roi Hoël Ier jusqu’à Alain II, qui vivait vers le milieu du VIIe siècle, la succession royale fut plusieurs fois sans doute interrompue en Bretagne par des guerres civiles et des divisions territoriales survenues entre les princes issus de la lignée du premier Conan : ce pays ne put échapper à la destinée qui pesait sur la France elle-même, dont le gouvernement était alors partagé entre quatre rois. Sous le titre de ducs ou de comtes, on voit donc régner simul-

  1. « Nam semper Britanni sub Francorum potestate, post obitum Clodovei fuerunt, et comités, non reges appellati sunt. » Greg. Turon., lib. IV, ch. 4. — « Voilà, dit d’Argentré, un aussi mauvais car qu’il en fust oncques. » En effet ce nam, ce car, comme le dit fort bien M. Daru, qui paraît être l’explication ou la conséquence d’une proposition déjà établie, ne se lie aucunement ni avec ce qui précède ni avec ce qui suit. Dans les quatre-vingt-un ans qui séparèrent la mort de Clovis de celle du célèbre évêque de Tours, les souverains de la Bretagne déployèrent d’ailleurs avec éclat le caractère royal qui ne leur était pas alors contesté, comme l’ont mis hors de doute dom Bouquet et le savant abbé Gallet. L’on trouvera naturel que je me borne à indiquer ici les questions controversées en renvoyant le lecteur aux sources et particulièrement aux quatre volumes in-folio des Mémoires pour servir de preuves à l’histoire de Bretagne, publiés par dom Lobineau, dom Morice et dom Taillandier, recueil le plus authentique et le plus complet que possède la France pour son histoire provinciale.