Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/456

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fermentation s’exerçait sur des masses énormes. Aussi les animaux qui en sortaient étaient-ils plus grands et plus complexes, car, dans la théorie de M. Pouchet, plus la matière est abondante, plus l’animal produit est parfait. L’Amérique est moins étendue que l’ancien continent, et sa faune et sa flore sont moins riches. Les îles de Madagascar et de Mascareigne sont très pauvres parce qu’elles sont très petites. De même dans un laboratoire les êtres créés par M. Pouchet sont très inférieurs, et la grandeur du vase, la quantité de matière en putréfaction, influent sur la nature et la forme des microzoaires qui naissent spontanément dans les infusions.

Cette partie du livre de M. Pouchet me paraît beaucoup plus contestable que ses expériences, et je n’y veux point insister. Il semble que la science tout entière est fondée sur le principe que la puissance suprême n’intervient plus dans les phénomènes naturels, que les temps de création étaient fort différens des nôtres, que la vie et la reproduction des êtres étaient alors soumises à d’autres lois. Ces temps et ces lois sont si mystérieux que l’étude n’en est guère propre à éclairer une question déjà si délicate. Je ne crois pas que les hétérogénistes aient intérêt à grandir le problème, à tirer des conclusions de leurs expériences, à demander aux faits qu’ils ont vus se passer dans des infusions de chair ou de foin des conséquences pour le monde tout entier et son organisation. Bien établir des expériences encore contestées, voilà leur tâche, et M. Pouchet leur a sur ce point rendu un véritable service. Son livre a regagné tout le terrain que leur doctrine avait perdu depuis soixante ans, quoique sa métaphysique puisse être assez facilement combattue. Il faut pourtant ajouter à ces preuves deux observations qui, sans être décisives, nous paraissent très favorables aux hétérogénistes, qui augmentent du moins la vraisemblance de leur doctrine. D’abord il est juste de remarquer que M. Pouchet ne fait pas naître tout entier et d’un seul morceau pour ainsi dire l’animal adulte dans une infusion organique, ce qui paraîtrait difficile à concevoir. Il admet la formation spontanée d’ovules, c’est-à-dire de globules d’une composition déterminée qui se développent ensuite à la manière ordinaire des œufs, comme ils le feraient s’ils sortaient de l’ovaire d’un animal vivant. De cette façon, le phénomène, au moins pour l’imagination, se simplifie. L’ovule n’est pas une substance si compliquée par sa composition qu’on n’en puisse concevoir la formation par la seule puissance des affinités chimiques.

Une seconde observation, plus générale, c’est que plus on descend dans la série des êtres, plus on voit la force générique se multiplier, et les individus nés d’un même animal devenir nombreux. Il semble que la production d’un animal supérieur soit si difficile que