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chétive, il semblait vraiment le prince et celui-ci le sujet, et à le voir balancer sa tête avec des grâces étudiées, on eût dit, suivant le mot d’un écrivain du temps, que l’Aquitain n’avait fait toute sa vie que porter un manteau de pourpre et rayonner sous un diadème. La foule, plus nombreuse d’instans en instans, s’amoncelait dans l’Hebdomon, laissant à peine libre l’espace destiné aux troupes. Arcadius, à pied, se posta en avant de la tribune, ayant au-dessous de lui Rufin, et derrière, à quelque distance, les grands officiers de la cour : il n’attendit pas longtemps sans que l’armée parût, conduite par Gaïnas. Elle marchait en bon ordre, l’infanterie à gauche, la cavalerie à droite, et au premier rang de celle-ci les cataphractes, couverts d’une carapace d’acier, eux et leurs chevaux, et semblables à des statues mouvantes. L’air, dont aucun souffle ne troublait le calme, semblait embrasé du reflet des armes, et les dragons de pourpre retombaient silencieux sur la hampe des bannières. L’empereur le premier salua les drapeaux; Rufin s’avança ensuite, et prit la parole. Prodiguant les fleurs du plus beau langage, il exalta le dévouement de ces braves qui revenaient des bornes du monde tout chargés de lauriers, les appelant par leurs noms, et leur donnant des nouvelles des enfans ou des pères dont ils allaient retrouver les embrassemens.

Tandis qu’il s’enivrait lui-même de ses paroles et que ses plus proches voisins l’interrompaient à dessein par des questions, la troupe se développait des deux côtés autour de lui et de l’empereur, repoussant au loin les courtisans et la foule; puis on la vit, par un mouvement inattendu, incliner et rapprocher ses rangs. Ses extrémités se rejoignent bientôt, et l’espace disparaît sous un cercle d’armes et de boucliers qui se resserrent. Tout entier à sa préoccupation intérieure, le ministre n’aperçoit pas que l’empereur et lui sont enveloppés, et comme l’officier de recrutement qui devait donner le signal de la proclamation ne paraissait point : « Prince, dit-il à Arcadius d’une voix impatiente, voici le moment de monter au tribunal; que tardez-vous? marchons! » Effrayé peut-être de cet appareil d’armes, Arcadius restait immobile et muet; Rufin croit qu’il hésite : il le saisit par son manteau, et semble lui adresser des reproches. À cette vue, toutes les épées sortent du fourreau, et une voix terrible, sans doute celle de Gaïnas, fait entendre ces mots : « Misérable ! tu veux donc nous faire porter des chaînes, et tu comptes sur nos bras pour en donner aux autres! Ne sais-tu donc pas d’où nous venons? ou crois-tu qu’après avoir renversé deux tyrans au-delà des Alpes, nous soyons bien pressés d’en faire un troisième? » À cette voix, que couvrent bientôt d’autres clameurs, Rufin, comme réveillé en sursaut, reste stupide; il ne peut songer à s’échapper,