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cres de Djeddah et de la Syrie seront toujours près de recommencer[1]. Je ne demande pas mieux, quant à moi, que de voir l’Europe prescrire à la Turquie la formation d’un ministère chrétien et d’une armée chrétienne; mais l’Europe, pendant qu’elle serait en train, ne ferait pas mal alors d’imposer aussi à la Turquie un prince chrétien. La révolution n’en serait pas beaucoup plus grosse.

On voit à quelles idées se rattache la théorie de M. Pitzipios sur l’empire byzantin.

Il y a là une idée toute grecque, celle de ne pas laisser les diverses parties de l’Orient se séparer les unes des autres, celle de faire un grand empire d’Orient. Athènes vise à être remplacée par Constantinople : c’est le Turin de l’Orient, Entre l’hellénisme d’Athènes et le byzantinisme de Constantinople, il y a bien des différences, et il pourrait y avoir bien des luttes. Cela n’empêche pas que les Grecs en général, ceux d’Athènes comme ceux de Constantinople, n’aient l’instinct et le désir de l’unité de l’Orient chrétien. Cet instinct et ce désir auront leur part dans l’avenir de l’Orient.

Il y a là d’un autre côté une idée qui est toute de notre temps et à laquelle cependant j’ai de la peine à me soumettre, l’idée de régler la question d’Orient d’une manière générale et définitive par un décret de l’Europe, par un grand congrès. Nous aimons les grandes solutions, celles surtout qui nous dispensent de tout effort individuel, celles qui ne nous laissent d’autre parti à prendre que celui de la soumission avec plus ou moins de murmures. Cela est vrai pour les individus, cela est vrai aussi pour les peuples. Il faut leur faire leur sort sans qu’ils s’en mêlent beaucoup, sinon pour voter ce qui est fait. Ajoutez à cela l’esprit de généralisation ou d’uniformité qui se prête si bien à la mollesse morale de notre temps. L’esprit bout encore, grâce à Dieu, en Europe; mais les caractères sont figés. Pourquoi, disons-nous, pourquoi laisser les diverses populations chrétiennes de l’Orient s’ouvrir péniblement leur voie dans l’avenir? Pourquoi ne pas leur créer tout de suite la destinée qu’elles doivent avoir? Cela vaut mieux pour elles, cela vaut mieux aussi pour l’utopie et pour la conjecture. Il est facile de prendre la carte de l’Orient, de faire un beau partage, d’assigner souverainement son lot à chacun, tandis qu’il est difficile, quand on veut laisser les peuples se faire eux-mêmes leur sort, de prévoir ce qu’ils feront, ce qu’ils voudront, les hommes qui sortiront de la foule, qui prendront rang, qui agiront sur les événemens. Ne pas prévoir, ne pas prophétiser, grand désagrément pour l’esprit humain. Nous aimons tous à faire des almanachs. Quiconque ne fait pas des almanachs passe pour un petit esprit. Je ne suis donc pas étonné que dans les brochures que je viens

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