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de Turin comme un père au milieu de sa famille, sourit volontiers aux emportemens de ces jeunes éloquences. Un de ces nouveau-venus, dans un discours virulent à propos du traité de cession de Nice et de la Savoie, lançait les foudres de son indignation contre le ministre des affaires étrangères. « L’honorable président du conseil des ministres, lui disait-il en l’accablant de son geste, s’étonne de l’âcreté de mes paroles! » L’honorable président du conseil des ministres parcourait son journal et ne s’étonnait de rien; mais à cette apostrophe, ne voulant pas faire manquer l’effet oratoire du jeune député, il jeta son journal et prit l’air qui convient à un ministre attaqué. — En somme, je ne sais où l’on irait chercher le courage de blâmer quelques enfantillages de tribune. Il y a tant de charme à voir les députés lombards jouir honnêtement de leur liberté nouvelle ! Ils le font pour la plupart avec tant de réserve et de bon goût! Ils ont tant d’ardeur au travail! Ils sont si détachés de tout égoïsme!

Dans le groupe des députés lombards, quelques figures se détachent. — Carlo Cattaneo est regardé comme le philosophe le plus éminent de l’Italie. C’est une tête pleine d’idées. Il a pris une part active à l’insurrection de 1848 et s’est battu bravement dans les rues de Milan. Depuis lors il professait la philosophie en Suisse, dans le canton italien du Tessin. La jeunesse de ce canton l’adore et croit à sa parole. A la tribune, il est châtié dans son langage, original dans sa conception. La plume à la main, c’est un écrivain rapide, agressif, souvent amer; sa phrase est alerte, incisive, coupée d’alinéas. Il a une idée par jour! Il dirige une revue politique savante et laborieuse, le Politecnico. Cattaneo s’est trouvé appelé au parlement par la supériorité de son talent; mais sa candidature fut vivement discutée. Seul depuis longtemps il représentait le système fédéraliste, qui voudrait diviser l’Italie en une infinité de communes indépendantes, réunies politiquement par un lien léger. A-t-il renoncé à cette utopie, et s’est-il franchement rallié à la monarchie constitutionnelle? C’est ce qu’on n’a pu savoir encore bien clairement. — Carlo Tenca a rédigé le Creposcolo, recueil littéraire qui fit à l’Autriche une opposition digne et persistante. Il est modeste et grave, d’une apparence un peu maladive, avec une voix lente et nette et un regard admirablement brillant; étranger à toute intrigue, simple et droit, il est le type le plus élevé de ces hommes nouveaux que la Lombardie envoie aux affaires. On l’a fait député malgré lui. On parle de le faire ministre. — Cesare Cantù, publiciste élégant, facile, abondant, a écrit une histoire universelle où une érudition immense se cache sous une forme attrayante. Comme homme politique, il est de ceux qui se compromirent à certains molïiens avec l’Autriche et se rapprochèrent de l’archiduc Maximilien.