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que quelques divagations, qui restent dans le domaine de l’esprit, n’offrent aucun danger en Lombardie, parce que les masses sont raisonnables; les étincelles ne sont périlleuses qu’auprès d’amas combustibles.

Qu’on en soit donc certain, les Lombards dans le parlement italien seront conservateurs. Leurs députés seront les représentans naturels de la propriété, de la petite propriété, qui fait le fond de la nation. Cela mis hors de doute pour l’avenir, voyons ce qui s’est passé lorsque, dans les premiers jours de 1860, peu de temps encore après la guerre, les Lombards eurent à nommer leurs premiers députés. Quels sont les hommes que ces collèges de petits propriétaires ont élus? Ce sont des avocats et des gens de lettres. Et de fait qui pouvait-on choisir? Voilà une nation qui depuis près de cinquante ans était gouvernée par des Allemands; les hommes intelligens s’étaient tenus avec soin dans la vie privée. On ne se connaissait pas, on ne savait pas de quoi chacun était capable. Quelques-uns avaient pu donner des preuves de talent en se compromettant avec l’administration autrichienne; ceux-là, les électeurs les repoussèrent en masse. Quoi de plus naturel au lendemain d’un triomphe mal affermi? Plus tard seulement on jettera le voile sur le passé[1]. Ainsi d’une part les gens qui avaient frayé avec l’Autriche étaient écartés par l’opinion, de l’autre ceux qui avaient joué un rôle dans la révolution avortée de 1848 étaient déconsidérés. Les électeurs n’avaient donc plus qu’à choisir entre des hommes tout à fait nouveaux; peut-on s’étonner qu’ils aient pris ceux qui savaient parler, ceux dont le nom du moins était arrivé à leurs oreilles ?

Il faut s’entendre aussi sur ce titre d’avocats, d’hommes de lettres. Toujours dominés par des étrangers, les Lombards ont trouvé dans l’étude des lois une sorte de défense contre leurs maîtres, une espèce de palladium de leurs libertés. Les légistes lombards ont été une des gloires de l’Italie et du monde. Que dirai-je des lettres? Elles n’ont pas été seulement la consolation d’un peuple opprimé, elles ont été l’instrument de sa résistance. De littérature futile, on en a peu connu en Lombardie; celle qu’on a connue surtout, c’est la littérature militante, qui menait à l’exil, à la prison ou au gibet. Tout homme de lettres était doublé d’un homme politique. Bien plus, tout homme qui tenait une plume était prêt à prendre un fu-

  1. Déjà même l’oubli commence. Pendant les dernières élections, un petit journal, le Pungolo, exhuma une adresse de félicitations présentée à l’archiduc en 1853, dans une année signalée par une violente émeute à Milan. Plusieurs des signataires de cette adresse se présentaient comme candidats aux élections de 1860. On les rejeta; mais d’une voix unanime la presse lombarde blâma les délations du Pungolo. Celui-ci avec bon goût reconnut ses torts et proclama une amnistie.