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accepter. Les administrateurs italiens, les gens qui entraient dans la pratique des affaires n’étaient pas éloignés de se rallier à l’archiduc, de l’aider de leurs conseils; mais la masse de la nation ne voulait rien entendre, et repoussait toute concession. Après 1850, la Valteline, province très pauvre qui ne vit que du commerce de ses vins, fut frappée d’une détresse extrême parce que la vigne avait été malade pendant plusieurs années. L’archiduc l’apprit, et fit un voyage en Valteline. Aussitôt tous les habitans notables quittèrent la province, afin de ne pas se trouver en rapport avec lui. L’archiduc vint, entra chez les paysans, vit la misère. De retour à Vérone, il envoya un don considérable à une société valtelinaise qui s’était formée pour soulager les maux du pays. La société refusa le don, alléguant que la Valteline avait plus besoin de réformes que d’argent. Maximilien ouvrit alors directement une souscription. On ne lui apporta rien; mais beaucoup de gens venaient secrètement verser leur offrande dans la caisse de la société valtelinaise. Dans ces circonstances, l’archiduc fit appeler M. Jacini, déjà connu par ses travaux économiques, et le pria d’indiquer dans un mémoire les réformes administratives que demandait la Valteline. Le mémoire parut. Il contenait quelques mots polis sur les bonnes intentions de Maximilien. Pauvre M. Jacini! cette innocente transaction avec le pouvoir fit crier à la trahison. Quand la Lombardie fut délivrée des Autrichiens, M. Jacini se sentait si impopulaire, qu’il n’osa pas se présenter pour être député au parlement. Il serait encore dans la vie privée, si M. de Cavour n’était venu le chercher pour le faire ministre.

C’était cependant M. Jacini lui-même qui, mieux inspiré une autre fois, avait de sa plume sévère érigé en doctrine politique le patriotisme sentimental de ses concitoyens. « Au sentiment, dit-il dans son livre sur la propriété, au sentiment revient sans aucun doute une influence légitime et irrécusable; lui seul rend l’humanité capable des plus grandes et des plus nobles actions. N’oublions pas que certaines idées fondamentales de la politique ne sauraient être confiées à une meilleure garde. » On ne pouvait, dans un livre écrit sous la domination autrichienne, établir plus nettement la théorie du système que le peuple lombard mettait en pratique. Avant tout, pas d’Autrichiens! Évitons qu’on ne soulage nos maux, cela retarderait notre délivrance. Il n’y a qu’un mot d’ordre, et hors de là pas de salut : plus d’Autrichiens! Tel était le système que l’économiste couvrait de sa parole, et la nation le suivait d’instinct, laissant les Autrichiens dans un isolement mortel, fuyant comme une honte tout contact avec eux. Un jour, dans une rue de Milan, un officier autrichien, rencontrant un jeune Lombard, le prend par er-