Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout le monde y souscrira, Ceux qui ont vu l’Italie du nord en 1848 et en 1849 croiront peut-être avec peine à de si beaux résultats; mais, grâce à Dieu, l’expérience sert quelquefois aux hommes. Les peuples ne sont pas toujours condamnés à recommencer les mêmes fautes et à tourner dans le même cercle d’erreurs. Les événemens de 1848 et de 1849 sont toujours présens à l’esprit des Lombards comme une terrible leçon. C’est le flambeau qui les éclaire et les maintient dans le droit chemin.

L’esprit de terroir disparaît chaque jour, ai-je dit : j’en pourrais donner plusieurs preuves; je n’en citerai qu’une, l’usage décroissant du dialecte. Les dialectes de l’Italie ne sont pas des patois populaires, ce sont de véritables langues que parlent toutes les classes de la société. L’an dernier, quand on demandait aux Lombards de renoncer à leurs dialectes, de les immoler sur l’autel de la patrie commune, ils répondaient qu’un tel sacrifice dépassait leurs forces. Les hommes se montraient encore traitables, mais de l’italien il ne fallait pas parler aux femmes. « Ce sera pour nos enfans, » disaient-elles; de fait, elles ne savaient guère l’italien; c’était une langue morte, apprise autrefois au couvent, puis oubliée. Quand on s’en servait, on se trouvait ridicule, solennel, et vite on revenait au dialecte fin, maniable : un mot se coupe en deux et une foule de terminaisons, d’intonations s’y ajoutent, qui expriment des nuances infinies, qui achèvent une pensée ou la dénaturent inopinément. Rudes, pleins de diphthongues nasales, les dialectes lombards conservent des traces de leur origine celtique; ils ont pris à peine quatre ou cinq mots à l’espagnol, peu au français. On ne pouvait renoncer à cette langue nationale. Meneghin, la marionnette milanaise, un bon vivant qui a un tricorne, une queue, des culottes courtes, le visage rose et un peu de ventre, Meneghin avait porté trop haut la perfection du dialecte. Maggi, Tomasso Grossi, Carlo Porta[1], Larghi, Balestrieri, Bossi, Zanoia, Bertani, avaient créé toute une

  1. En parlant des dialectes, il est indispensable de signaler à des lecteurs français le nom de Carlo Porta, poète milanais très populaire. Il a de belles pièces, mais il est généralement graveleux, ordurier même. Le mérite de ses vers d’ailleurs, comme il arrive d’ordinaire pour les poésies patoises, est surtout dans la forme. Le fond est vulgaire. Si on traduit, il ne reste rien. C’est comme un fruit de goût peu relevé, recouvert d’un duvet léger qui tombe dès qu’on le touche. Porta vécut de 1776 à 1821. Il fut toute sa vie employé dans les administrations publiques et mourut caissier-général du monte (caisse centrale du trésor). Poète national, Porta persifle les étrangers. Les Disgrâces de Jean Bougée, sa pièce la plus connue, sont une fine protestation contre la domination étrangère. Il n’aime pas les Français. Quelque part un Français vante son pays en hâbleur : « Retournez-y donc, lui dit Porta, puisqu’on y est si bien. » Ailleurs il compare le soldat descendu en Lombardie à un âne qui, habitué à faire maigre chère, trouve tout à coup de bon foin, et qui cabriole à se donner des ruades sur le dos.