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Une foule compacte monde le Corso; les balcons sont chargés de spectateurs; des troupes de masques circulent avec peine dans des voitures disposées en bateaux, en gondoles, en locomotives. Et en avant les coriandoli ! De tous côtés la bataille s’engage, de la rue aux balcons, des balcons aux voitures. A pleines mains, à pleins cornets, à pleines pelles, vigoureusement lancés, les projectiles volent. Les jets blancs se croisent et se heurtent. Une poussière acre obscurcit l’air. Gare à qui n’a pas le visage calfeutré, masqué, garni de lunettes! C’est une rage. En un instant, les grands bateaux, largement approvisionnés de coriandoli, ont épuisé leur charge. Il faut faire escale et renouveler les munitions sous le feu des balcons qui ne se ralentit pas. Enfin le soir vient séparer les combattans harassés et emplâtres, et pendant la nuit il faut déblayer avec une armée de charrettes les rués encombrées d’une couche épaisse de plâtre et de terre. À ce divertissement singulier toute la ville prend part avec la même ardeur. On voit rapprochées et comme confondues par la lutte les conditions les plus diverses, les gamins des faubourgs et les dames des plus grandes maisons.

La vie civile des Lombards présente en somme une parfaite égalité sociale. Cette égalité n’est point due aux efforts violens de l’esprit philosophique, mais à une heureuse fécondité du sol, qui permet à chacun de vivre facilement sans s’asservir à son voisin.


III. — LA VIE MUNICIPALE.

L’organisation municipale de la Lombardie est telle qu’a dû la faire un peuple de petits propriétaires. On trouve ici la propriété foncière toute-puissante. La constitution communale qui a régi le pays pendant longues années a été fixée par un édit du 30 décembre 1855. Après avoir fait place à des institutions nouvelles sous le vice-roi Eugène, elle fut remise en vigueur au mois de mai 1816 et confirmée par des lettres patentes du 31 décembre 1851. Le trait caractéristique de cette constitution est le convocato. Dans chaque commune, tous les propriétaires forment un conseil qui se réunit deux fois l’an pour régler les dépenses. Le possesseur de la moindre parcelle a voix délibérative à l’égal du plus grand propriétaire. Toute propriété d’ailleurs est représentée : les femmes, les mineurs n’assistent pas aux séances, mais envoient au convocato leurs délégués. On n’en exclut que les militaires, les curés et les débiteurs de la commune. Le convocato élit trois députés investis pour trois ans du pouvoir exécutif; ils administrent gratuitement les biens communaux, veillent à la récolte, à la salubrité publique, commencent