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Vous savez d’ailleurs qu’ici les assiduités d’un homme ne compromettent pas une femme. Le plus clair est que l’officier promène les enfans de madame et dresse les chevaux de monsieur. Il est très vrai que le lien du mariage est ici assez relâché : les femmes, non-seulement dans la haute société, mais aussi dans les classes moyennes, vivent peu avec leurs maris. Beaucoup sont séparées de fait, à l’amiable, sans procès. Toutes conservent leur vie propre. On appelle les femmes aussi souvent par leur nom de famille que par le nom de leur mari, tant l’épouse porte peu la marque de l’époux. Celles qui ont lu les théories de M. Michelet sur l’amour et le mariage n’y ont rien compris. La vie commune, la fusion des sentimens, l’éducation de la femme par l’homme, leur ont paru des extravagances. Ce n’est pas à dire que la femme lombarde, peu occupée de son mari, soit abandonnée sans défense aux séductions qui l’entourent. Une certaine délicatesse d’esprit, peut-être une certaine froideur de tempérament, la défendent.

Quoi qu’il en soit, le rideau vient de se baisser sur les amours de Mathilde et de Conradin, et il se relève pour Cléopâtre. La salle, si bruyante pendant l’opéra, devient silencieuse pour le ballet. L’école de danse de Milan est célèbre, et ses diplômes sont estimés sur toutes les scènes de l’Europe. Le public s’intéresse à ces petites danseuses qu’il a vues grandir; il les connaît, il les aime, il les encourage, il leur reproche amicalement leur paresse, il jouit de leurs progrès, et si l’une d’elles, devenue élève émérite, s’envole à Vienne ou à Paris, il la suit de ses vœux. On me demandera peut-être si elles sont sages. Le fait est qu’elles viennent au théâtre avec leur père, un vrai père, qui a une boutique sur le Corso. Quelques-unes ont épousé des comtes ou des marquis désœuvrés sous la domination autrichienne, et leur exemple, en excitant l’émulation de leurs camarades, a tourné au profit de la vertu. Beaucoup se marient avec d’honnêtes artisans, et oublient vite leur jeunesse consacrée aux arts.

La Scala nous a montré toutes les classes de la société confondues dans une vie commune. Il en est de même dans la fête nationale des Lombards, la fête des coriandoli, qui a lieu pendant les derniers jours du carnaval. Saint Ambroise, ancien évêque de Milan, qui avait goûté les joies du monde avant de s’en repentir, a concédé pour toujours à ses diocésains un carnaval supplémentaire de quatre jours, le carnavalone, de sorte qu’au moment où le carême commence pour le reste des catholiques, les Milanais ont encore devant eux quatre jours de folie. C’est l’époque des coriandoli. Les coriandoli sont de petites boulettes de terre roulées dans le plâtre, que l’on prépare par sacs en quantités énormes pour les jeter dans les rues.