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Il pense beaucoup à l’Italie, en homme pratique, qui a connu la prison sous l’Autriche et qui s’est battu. Si l’on fouillait dans ses papiers, on y trouverait plus d’un mémoire sagement écrit sur la guerre, sur les partis italiens, voire sur les finances de son pays. — Voyez le commerçant dans son comptoir. Il est élégamment vêtu, un chapeau noir sur la tête, comme un homme de loisir qui vend du drap ou des épices entre deux tours de promenade. Nul empressement auprès de l’acheteur. Il ne vous vantera pas sa marchandise, et il semble qu’il n’ait que faire que vous l’achetiez. N’a-t-il pas son capital de 860 francs? L’artisan dans sa boutique s’occupe plus de jouer avec ses enfans que de servir ses cliens.

Dans les campagnes, la vie des paysans présente cette même douceur facile et un peu apathique. Écoutez M. Jacini : « La vie du paysan n’est pas longue à décrire. Dans les premiers mois de son enfance, il est serré dans ses langes presque jusqu’à étouffer, puis il est abandonné à la garde de quelque enfant un peu plus âgé que lui; enfin, devenu capable de se mouvoir sans aide, il se roule dans la poussière et dans la fange de faire avec ses compagnons. Vient l’âge où on l’envoie à l’école communale pendant l’hiver et où on l’initie au travail pendant l’été; on lui fait d’abord conduire au pré les oies ou les cochons, ensuite les vaches. Arrivé à vingt ans, il se trouve en face des événemens les plus graves de sa vie, la conscription et le mariage. A dire vrai, la première lui donne plus à penser que le second, parce que dans la vie humaine les craintes font plus d’impression que les plaisirs. A la campagne, toute fille est certaine de trouver un mari, comme tout jeune garçon est sûr de rencontrer une femme, alors même que la nature ne lui a pas épargné quelque défaut physique. Non qu’il y ait absolue indifférence dans les choix, loin de là : à la campagne comme à la ville, on connaît l’art de plaire; mais enfin la jeune fille à marier ne veut pas se condamner à trop attendre. Elle apporte toujours quelque dot, son lit au moins et beaucoup de bonne volonté pour travailler et pour avoir une nombreuse progéniture. Le reste de la vie du paysan n’offre plus d’autres événemens que la naissance successive de ses enfans, qui, dès l’âge le plus tendre, prennent une part active aux occupations de la famille. Quand il meurt, on pleure sur son cercueil, mais surtout on boit abondamment après la cérémonie funèbre à titre de distraction. On conserve beaucoup de respect pour la mémoire des morts. » Vous voyez comme cette vie se passe sans misère, sans fatigue, sans chagrin.

De même que la vie de chacun est facile, les rapports entre les différentes classes de la société sont aisés et bienveillans. Aucunes luttes intérieures, aucunes dissensions politiques n’ont aigri les