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ment le capital créé et consolidé dont chacun jouit. C’est un chiffre fort élevé et qui n’est certainement pas dépassé en France.

La propriété foncière en Lombardie est comme l’Atlas de la mythologie : elle supporte tout l’édifice social ; c’est sur elle que retombe tout le poids de l’impôt. Sous la domination autrichienne, la terre, en impôts fonciers directs, supplémentaires ou communaux, payait 36 pour 100 de sa rente. La Lombardie, qui représentait en superficie le trentième des états de l’empire et en population le quatorzième, entrait dans ses recettes pour un neuvième, soit pour une somme annuelle de 68 millions de francs. De cette somme la propriété foncière fournissait presque la moitié, tandis que dans le reste de l’empire elle payait seulement un quart du total des impôts. L’assiette de l’impôt n’a pas encore été modifiée dans la Lombardie depuis son annexion au Piémont. Une grande popularité y attend le ministère Cavour quand il rétablira sous ce rapport l’équilibre entre les différentes provinces du royaume. En Piémont par exemple, la terre ne paie guère que 15 pour 100; il est bien probable que la Lombardie, quand la propriété y sera dégrevée, paiera la même somme d’impôts sous une autre forme; mais en pareille matière la forme n’est pas indifférente : propriétaires avant tout, les Lombards se sentent particulièrement atteints par les impôts fonciers[1].

La statistique nous montre donc la Lombardie comme une terre de riche culture et de propriété très divisée. L’aspect de la contrée répond à ces données. Les campagnes sont coupées de clôtures et de canaux, richement boisées, semées de maisons. Les cultures y sont variées à l’infini, suivant les inspirations personnelles des habitans, suivant les dégradations du climat: ici des pâturages alpestres; plus loin les châtaigniers, les vignes, les oliviers, les amandiers; là les céréales du Danube, le maïs du Mississipi, le lin des Flandres, les grands mûriers de la Chine; ailleurs des prés chargés de troupeaux, plus bas de vastes et fécondes rizières. Les villages, les bourgs, les villes se pressent dans un espace étroit; tous ont un air d’aisance et de richesse. Vous rencontrez un hameau de quelques feux : une belle route ombragée, bien entretenue, y conduit. Le canal longe

  1. Le mode de perception aggravait encore les charges de l’impôt sous la domination autrichienne. L’impôt était affermé à des receveurs. Cette perception ne coûtait que 2 1/2 pour 100 à l’état, mais elle était fort onéreuse pour les contribuables. On pouvait payer l’impôt jusqu’au dernier jour du mois au coucher du soleil, ou bien jusqu’au 5 du mois suivant en ajoutant 5 pour 100, ou encore jusqu’au 10 en ajoutant 10 pour 100. Ce terme passé, le fermier-receveur, pour se couvrir, faisait saisir et vendre aux enchères une parcelle de terrain. Ces ventes étaient peu productives à cause de la honte qu’éprouvaient les habitans d’acheter les dépouilles les uns des autres en face d’une autorité détestée.