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où tous les biens appartiennent à quelques-uns et où la masse de la nation ne possède rien, beaucoup de gens demandent à changer d’état: mais ces jugemens sont faux. La Lombardie est avant tout un pays agricole où la propriété est très divisée; c’est une nation de petits propriétaires. Quand M. de Cavour, revenu vers la fin de 1859 à la tête des affaires, voulut appeler au ministère un Lombard pour y représenter la nouvelle province annexée au Piémont, qui choisit-il? Ni un grand seigneur, ni un orateur de club; il appela M. Jacini, un jeune économiste, propriétaire et auteur d’un remarquable traité sur la propriété foncière et les populations agricoles en Lombardie. C’était là l’homme qui connaissait son peuple, qui en savait les besoins, qui en avait l’esprit.

Montrons d’abord par des chiffres que la Lombardie est un pays de propriété très divisée. Elle compte 350,000 propriétaires, un propriétaire par huit habitans, et l’étendue moyenne de chaque propriété y est de six hectares et un cinquième. Or la France en 1840, c’est-à-dire à une époque encore assez rapprochée pour qu’il n’y ait eu depuis que des changemens de médiocre importance, comptait seulement un propriétaire par neuf habitans, et l’étendue moyenne de la propriété y était de douze hectares. A la même époque, les proportions étaient sensiblement les mêmes en Belgique. La population est d’ailleurs plus dense en Lombardie que dans tout autre pays, la Belgique exceptée. La Lombardie compte 131 habitans par kilomètre carré, la Belgique l47, la France 122. Ainsi la population est très dense, et cependant la proportion de ceux qui possèdent est très forte.

Il est vrai que la terre est d’une fertilité exceptionnelle. La nature a mis dans les Alpes de vastes réservoirs d’eau; ils s’écoulent doucement à travers la Lombardie par de grandes rivières. Les générations successives ont si bien utilisé cette richesse spontanée, ont creusé tant de canaux, de fossés, de rigoles, que l’eau arrive partout en abondance. La pluie n’est pas nécessaire, elle est affaire de luxe. Si on estime cette richesse en chiffres, on verra que les biens-fonds lombards représentent, déduction faite des dettes hypothécaires dont ils sont grevés, un capital de 1 milliard 586 millions de francs. Si on y ajoute la somme, relativement bien faible, des capitaux employés dans le commerce et l’industrie (sans tenir compte des salaires), et qui est de 331,530,000 francs, on arrive pour la richesse capitalisée du pays à près de deux milliards de francs, et pour le capital moyen possédé par chaque individu à 860 francs. On comprend ce qu’indique ce chiffre; ce n’est pas, bien entendu, la somme au moyen de laquelle chacun vit, puisque nous n’avons pas tenu compte des salaires et gains de toute sorte ; c’est seule-