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de ce vaste drame historique ; que de figures, que d’épisodes j’ai dû laisser de côté ! Le récit de l’expédition contre Genséric est un des meilleurs de l’ouvrage ; le caractère du roi des Vandales, si différent du génie d’Attila, est expliqué avec une rare finesse. On le voit à l’œuvre, ce brigand vulgaire, avec sa cupidité, ses fourberies, ses intrigues tragi-comiques, voleur de grande route, qui tour à tour prend des airs d’Annibal ou se transforme en un effroyable Scapin. Je ne sais pas de peinture plus poignante que l’incendie de la flotte romaine dans le port de Carthage par ce facétieux scélérat. Le tableau est immense, car les trahisons des deux patrices de Rome et de Constantinople ayant amené ce désastre, les flammes qui enveloppent les navires éclairent tout à coup de leurs fauves reflets la dégradation des deux empires. Tandis que l’Orient et l’Occident reçoivent au front ces stigmates de honte, Genséric sourit et triomphe. Dans le fond du tableau, pendant que le vil commandant de la flotte s’empresse de gagner la haute mer, on aperçoit son lieutenant, un vieux Romain, Jean Daminec, qui se bat en désespéré, attaque à l’abordage les brûlots des Vandales, frappe tout devant lui, culbute les ennemis et les traîtres, puis bientôt, accablé par le nombre, refuse la grâce que lui offre le fils de Genséric, et se précipite au fond de la mer. Sur un autre théâtre, les aventures de l’impératrice Vérine, les conspirations de palais, les entreprises mystiques de l’hellénisme alexandrin bizarrement associées aux intrigues de cour, l’histoire d’Illus, le favori de Zénon, l’épisode de ce Léontius, qui prêche une religion nouvelle tout en briguant le trône de Constantinople, et qui soulève pour sa cause les philosophes thaumaturges des villes ainsi que les sorciers des campagnes, tous ces curieux détails, habilement rattachés à l’histoire générale, en marquent le vivant caractère. Romains d’Orient ou d’Occident, Ostrogoths ou Vandales, M. Thierry connaît intimement tous les personnages qu’il fait agir. Il sait d’où ils viennent, quels sentimens les animent et ce qu’on peut en attendre. Rien de banal, rien de convenu. Dans cette foule d’acteurs qui se heurtent sur la scène, chacun a sa physionomie distincte.

Ceux qu’il faut signaler surtout, ceux que l’historien a été heureux de rencontrer sur sa route, et dont il parle toujours avec une éloquente émotion, ce sont ceux qui, au milieu de la dégradation générale, ont sauvé l’honneur du genre humain. Saint Séverin n’est pas le seul qui ait été grand par le cœur dans cette misérable époque ; ce qu’il faisait avec une inspiration si libre, sans le secours et quelquefois malgré la résistance des évêques, un saint évêque, Épiphane, pasteur du diocèse de Pavie, le faisait intrépidement aussi à la tête de son clergé. Séverin combattait les farouches barbares du Norique, Épiphane luttait contre les barbares disciplinés de l’Italie.