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comme Glycérius, ni un épicurien comme Augustule. Qu’importe? Si la pensée lui vient de ressaisir le pouvoir, il se trouvera bien un spadassin pour débarrasser la scène de ce personnage incommode. L’assassinat de Julius Népos par le comte Ovida est un incident prévu de cette tragédie.

En même temps qu’Odoacre effaçait ainsi le souvenir des césars de Rome en ayant l’air de remettre l’empire tout entier aux césars de Constantinople, il encourageait sous main tout ce qui pouvait augmenter la division de l’Orient et de l’Occident. C’était la seconde partie de sa politique. Il disait tout haut : « J’ai réuni les deux fractions de l’empire, » et il s’appliquait sans cesse à réveiller ou du moins à utiliser pour ses projets les vieilles antipathies des deux mondes. Les controverses religieuses, s’ajoutant aux haines de race, le servaient d’ailleurs à merveille. M. Amédée Thierry a remis très habilement en lumière un des plus curieux incidens de cette histoire, le schisme qui sépara l’église latine et l’église grecque pendant quarante années, et qui éclata précisément à l’époque où l’empire d’Occident venait de disparaître. Rien de plus triste que cet épisode; il y a là, sous l’habit ecclésiastique, de vils personnages et de honteuses intrigues. Ce qui est plus triste encore, c’est que l’empereur d’Orient et le roi d’Italie, Zénon et Odoacre, trouvaient également leur compte à ces scandales. L’empereur d’Orient n’était pas fâché que l’évêque de Constantinople essayât de se soustraire à la suprématie de l’évêque de Rome; Odoacre était heureux de voir se briser un lien de plus entre l’empire d’Orient et le royaume dont il fondait les bases. N’est-ce pas là une preuve manifeste de l’insouciance profonde des Italiens en face de la révolution qui venait de mettre fin aux destinées de l’empire? Le silence, l’inattention de la société civile étaient déjà un symptôme bien frappant; l’inattention de l’église, occupée seulement de ses discordes, est aussi un fait qui parle assez haut.

Dans cette indifférence universelle du vieux monde, la seule voix qui se fit entendre fut donc la voix de Séverin, comme aussi le meilleur symptôme de vie morale que présente cette période, c’est la réponse du peuple italien aux dernières paroles, aux cris de foi et d’espérance qu’avait proférés l’homme de Dieu. Odoacre n’oublia pas le saint et vaillant protecteur du Norique. En saluant sa grandeur future, Séverin lui avait confié en quelque sorte la civilisation de l’avenir; qui sait si les meilleures inspirations du roi barbare ne doivent pas être attribuées à cette espèce de consécration? Séverin mort, son gouvernement s’était dissous, et les fils de son vieil ami, les successeurs du roi Flaccithée, avaient commis d’effroyables attentats dans le Norique. Odoacre, en 487, envahit les