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répondait au caractère essentiel de leur puissance. Incarnation du peuple romain, qui était dieu, et avait fait passer juridiquement en leur personne ses droits de souveraineté et son génie, les césars étaient dieux : à ce titre, ils ne pouvaient mourir ; ils ne quittaient ce monde que pour aller, dans celui des divinités de l’Olympe, prendre place parmi les influences célestes protectrices de la patrie. Tel était le sort des empereurs dignes de ce nom, qu’un jugement solennel du sénat et du peuple confirmait, après leur mort, dans la succession d’Auguste, de Trajan, de Marc-Aurèle : ceux-là recevaient une apothéose publique ; à eux seuls il était donné de vivre toujours de la vie romaine, et de confondre leur souvenir avec celui de la ville éternelle. La mémoire des mauvais césars était abolie, leurs actes rescindés, leurs noms effacés des monumens publics, leurs corps obscurément ensevelis ou traînés aux gémonies par le croc des gladiateurs; le peuple-dieu les rejetait de son sein : ils avaient cessé d’être césars pour n’être plus que des tyrans.

Comme conséquence de ces idées, l’image de la mort était écartée avec grand soin des funérailles des empereurs païens. A peine le prince avait-il fermé les yeux, qu’un lit d’or et de pourpre était dressé dans la chambre la plus somptueuse du palais, et tandis que le corps, brûlé suivant les rites religieux et renfermé dans une urne, était porté sans apparat aux monumens sépulcraux des césars, soit au tombeau d’Auguste, soit au mausolée d’Adrien et de Sévère, une image de cire, présentant les traits du défunt et vêtue de ses ornemens impériaux, était couchée sur le lit de parade, le diadème au front, l’épée au côté. Mille candélabres d’or resplendissaient alentour comme un symbole de la puissance. La garde palatine veillait, le glaive au poing; le sénat, les magistrats, les matrones de la maison impériale, rangés à droite et à gauche de l’image, lui faisaient cortège nuit et jour; le peuple lui-même était admis par intervalles à la faveur de l’adorer. Rien ne semblait changé aux actes ordinaires de la vie; les affranchis, les chambellans se tenaient à distance, prêts à obéir au moindre signe du maître, le médecin venait respectueusement s’incliner, comme pour observer le progrès de quelque mal redoutable, et le centurion de garde demandait le mot d’ordre. Au jour convenu, cette vie imaginaire cessait. Conduits en grande pompe au Champ-de-Mars, l’image et le lit étaient déposés sur un bûcher de feuilles sèches, de bois de senteur et d’aromates. Quelque orateur illustre prononçait l’éloge du défunt, des chants solennels se faisaient entendre, et le feu était mis au bûcher. Alors, du sein d’un nuage d’encens, un aigle vivant s’élançait et, prenant son essor vers le ciel, semblait emporter l’âme du césar sous le symbole même de Rome.