Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/363

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être pénétrés d’amour autant que de respect et d’admiration. Après les travaux de ses devanciers, M. Amédée Thierry a pensé sans doute que le plus sûr moyen d’intéresser le lecteur était de retrouver la vérité tout entière. Sa modestie et son zèle ont eu leur récompense; il a peint sans emphase, sans archaïsme, avec une simplicité vraie, la destinée complète de saint Séverin, et, l’érudition venant au secours de l’art, ce portrait si fidèle fait oublier tous les autres. Tillemont, M. Ozanam, M. de Montalembert se sont attachés surtout au saint charitable et dévoué; M. Amédée Thierry nous a révélé à la fois l’homme de Dieu, le politique, le chef d’état, le fondateur d’un gouvernement sans modèle, et il a restitué, d’après des indications éparses, tout un fragment de l’histoire du monde.

Dès les premières pages, en éclairant le lieu de la scène par les détails les plus précis, en y groupant les acteurs qu’attendent des fortunes si diverses, M. Thierry a renouvelé tout l’intérêt de ce dramatique épisode. Ces acteurs, ne l’oublions pas, ce sont les peuples qui tour à tour hériteront de l’empire après sa chute suprême. De ce côté du Danube, voici les Ruges, les Scyres, les Turcilinges, les Hérules, toutes ces races sauvages dont Odoacre sera le chef, lorsque, sous le titre de roi des nations, il déposera Augustule et gouvernera l’Italie; sur l’autre rive, ce sont les Ostrogoths de cet autre aventurier, Théodoric, qui, renversant Odoacre, fondera dans l’Occident sa grande monarchie barbare et romaine tout ensemble. On comprend quelle importance nouvelle acquiert tout à coup le mystérieux personnage que la Providence a envoyé au milieu des futurs dominateurs de l’Italie. Ces peuples étaient chrétiens déjà, mais d’un christianisme sans grandeur, sans divin idéal, d’un christianisme à demi païen et beaucoup plus porté aux stériles disputes qu’aux œuvres fécondes. Je crois comprendre mieux que jamais, en lisant la vie de saint Séverin, pourquoi la doctrine d’Arius, ce christianisme des Barbares, eût été funeste à la civilisation : il ne pénétrait pas jusqu’au fond des âmes pour en extraire les richesses cachées; mais je crois comprendre aussi que l’église organisée, avec sa hiérarchie empruntée au vieux monde, ne valait pas toujours en face des Barbares l’action spontanée d’un homme. La grande originalité de saint Séverin, c’est qu’il s’inspire directement de l’Évangile pour y ramener directement les peuples. On ne voit pas qu’il tienne ses pouvoirs d’une institution canonique; il les a pris au nom de Dieu. On ne voit pas davantage qu’il établisse un intermédiaire entre le Barbare souillé de sang et le divin Rédempteur; il prêche le Christ et non le pontife de Rome. En un mot, rien de plus libre, rien de plus naïvement hardi que l’apostolat de saint Séverin, et nous qui cherchons l’unité, la fraternité chrétienne à travers les di-