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trices barbares aux empereurs, qui tire les conséquences de la dissolution de la classe moyenne par les rapines du fisc, qui confirme les rapports de Zosime, les invectives de Salvien, les plaintes généreuses de Majorien, et prouve que la nation romaine avait été frappée au cœur par le despotisme impérial, « Trois hommes de race germanique, dit M. Amédée Thierry, sont les héros de cette révolution : le Suève Ricimer, le Ruge Odoacre et l’Ostrogoth Théodoric. Le premier la prépare, le second l’exécute, le troisième la rend définitive. » Ainsi la date de 476, qui marque la déchéance du dernier des empereurs, n’est qu’une des péripéties du drame qui nous occupe; la tragédie n’est achevée qu’au moment où le chef des Ostrogoths établit la royauté héréditaire d’Italie dans la famille des Amales.

En face de ces chefs barbares si différens par le génie, mais devenus tous les trois les maîtres de l’Occident, en face de ces grands aventuriers qui ont ramassé tour à tour le sceptre des césars dans les bouleversemens du Ve siècle, la société romaine n’a-t-elle pas de héros à produire? M. Thierry n’a garde de les oublier; si l’histoire les a laissés dans l’ombre, il prendra plaisir à les faire paraître au grand jour. Disciple de la tradition latine, il sera porté plutôt à atténuer les misères de l’empire qu’à méconnaître les défenseurs de la civilisation. Certes, quand nous jugeons ces questions au point de vue de la philosophie de l’histoire, nos sympathies sont pour ces nations germaniques dont la sève allait régénérer le monde; ce sont elles, les meilleurs juges l’affirment, qui ont apporté ou relevé le sentiment de l’individu, le respect de la personne, tous ces instincts de liberté, de dignité morale, dont le christianisme lui-même devait faire son profit; n’oublions pas cependant de quel prix le genre humain a dû payer sa rançon. Que de sang versé! que de monumens détruits! Quels chefs-d’œuvre perdus que nous pleurons encore! Avant de renouveler les sources de la vie et d’enfanter le monde moderne, ces nations du nord ont failli anéantir la civilisation. Les hommes qui défendirent ce dépôt sacré, ceux qui combattirent jusqu’au dernier jour pour l’honneur du nom romain, ceux qui par leur attitude, par leurs conseils et leurs exemples, inspirèrent aux Barbares le respect de la culture intellectuelle et morale, tous ces hommes, oubliés ou dédaignés aujourd’hui, ont droit à une meilleure place que les peuples germaniques dans les formules de notre philosophie de l’histoire; ce sont véritablement nos ancêtres, car c’est par eux que le sang des races du nord a pu être une alluvion fécondante et non un torrent destructeur. M. Amédée Thierry a toujours protesté contre cette philosophie qui, jugeant d’une façon sommaire les catastrophes de l’histoire, ne s’inquiète ni des souf-