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en termes durs, positifs, et qui ne permettaient aucune échappatoire. On dit qu’à cette lecture Stilicon resta muet et sans mouvement, comme un homme frappé de la foudre : revenu à lui et devinant bien qui lui portait ce coup, il se demanda s’il obéirait. Résister à main armée au fils de Théodose dans le temps même qu’il réclamait sa tutelle en qualité de second père, le braver, corrompre ses soldats, le forcer dans sa métropole et jusque dans son palais, c’était plus qu’une guerre civile : c’était une révolte domestique, un attentat à la mémoire de Théodose, à peine au cercueil. Jamais les conséquences de son expédition ne s’étaient montrées à lui sous un jour aussi odieux, et il reculait; puis, quand il songeait que c’était là un jeu de Rufin, que son abaissement serait le triomphe de son rival, que ce honteux départ la veille d’une bataille ressemblerait trop à la peur et le rendrait la risée de l’Occident tout aussi bien que de l’Orient, sa colère revenait terrible. Il voulait alors écraser Alaric, marcher sur Constantinople, et faire sentir à l’empereur lui-même qu’on se trompait en supposant Stilicon si docile ou si lâche. Ballottée ainsi entre deux sentimens contraires, son âme fut en proie pendant quelques heures à une véritable tempête.

Il fit enfin appeler Gaïnas. Gaïnas, un des chefs les plus importans de l’armée orientale, était ce même Barbare dont la fortune extraordinaire avait si vivement blessé l’amour-propre d’Alaric. Transfuge de la nation des Goths et d’abord simple soldat dans une légion, Gaïnas n’avait dû ses grades romains ni à sa naissance comme Alaric, ni au patronage d’aucun roi barbare; il s’était fait lui-même et avait tout gagné à la pointe de l’épée. Avec cela, Gaïnas, général, restait toujours soldat; bon pour des coups de main (car nul n’était plus brave), et habile à déjouer une embuscade aussi bien qu’à la dresser, ses idées ne s’étaient pas élevées plus haut; il ne savait ni commander en chef une grande armée, ni prendre rang dans l’état comme personnage politique. C’était d’ailleurs un homme grossier, cruel, léger et violent dans ses décisions, soumis à l’autorité de ses chefs par habitude ou sentiment de discipline, et sans scrupule sur l’emploi de la force lorsqu’elle lui semblait nécessaire. Il avait connu intimement Stilicon dans l’entourage de Théodose, leur bienfaiteur à tous deux, et il s’était toujours incliné devant une supériorité qui ne le blessait pas dans un gendre d’empereur. Gaïnas nourrissait d’ailleurs contre Rufin cette haine du soldat pour un fonctionnaire civil, insolent et dominateur. Après avoir examiné ensemble la position faite aux troupes romaines par le mandement impérial, les deux généraux reconnurent qu’il fallait y obéir ponctuellement ou se mettre en révolte ouverte, ce qui n’était pas pour le moment dans l’intérêt de Stilicon; mais ils reconnurent en même