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obscures. Nos Normands ne sont pas plus Scandinaves qu’on n’est, dans le reste de la France, Franc ou Visigoth ou Burgunde. À part la descendance de Rollon, le premier duc, descendance qui d’ailleurs ne dura pas très longtemps, tous ces Scandinaves se fondirent dans la population neustrienne, et y perdirent leurs mœurs, leur état social, leurs noms, leur langue. Autrefois en France il y avait, non pas ce que nous appelons des patois, mais des dialectes dans lesquels chaque grande province écrivait ses compositions, sans se conformer, comme aujourd’hui, à une langue unique. Le dialecte normand était un des principaux, et dès la fin du XIIe siècle ces prétendus Scandinaves ont, par de longs poèmes, tenu leur place littéraire, dans la langue d’oïl. Une étude des dialectes parlés sur le sol de la Gaule depuis la Méditerranée jusqu’aux côtes de l’Océan et au pays wallon montre[1] que ces dialectes, toujours latins, suivent une dégradation régulière à mesure qu’on s’éloigne davantage du territoire latin, sans que jamais un ressaut quelconque indique qu’en tel ou tel point se soit trouvée une population ou franque, ou burgunde, ou visigothe, qui ait donné au parler un caractère plus germanique qu’au reste. Eh bien ! cela est vrai pour notre Normandie ; là aussi la dégradation dialectique suit sa marche indépendamment de toute influence Scandinave. Il est donc vrai que si nous sommes Celtes, nos Normands le sont aussi et au même titre, c’est-à-dire que, devenus Latins comme les autres Gaulois, ils ont, comme les autres Gaulois, absorbé et assimilé les envahisseurs germaniques.

Les Gaulois, en renonçant à leur langue pour adopter le latin, ont rompu leurs liens avec les populations celtiques qui gardèrent la leur. Singulier échange qui ferait douter que les Français soient des Gaulois, si cette latinité d’emprunt n’en était restée la vraie preuve! En effet, on sait historiquement qu’aucune population latine ne couvrit le sol en assez grand nombre pour submerger la nation gauloise. Pline témoigne que la Province, que nous nommons aujourd’hui la Provence, était devenue tellement semblable à l’Italie qu’on ne l’en distinguait plus ; cette assimilation gagna de proche en proche jusqu’aux derniers confins de la Gaule : la langue gauloise fut de plus en plus reléguée. Quand l’invasion germaine commença, on courut risque de devenir Germains comme l’Angleterre le devint ; mais chez nous elle ne tarda point à être absorbée, et le triomphe des langues d’oïl et d’oc, filles de la latinité, vint montrer que définitivement la population gauloise avait pris le dessus. Cette fusion dans la latinité fut une rupture avec la celticité, rupture qui fut bien profonde, mais qui n’empêche pas qu’il ne reste des liens

  1. J’en ai déduit les preuves dans le Journal des Savans.