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Shakspeare sous un jour nouveau, et d’avoir pénétré plus avant dans les sources de son génie. Je parle également aux lecteurs anglais et aux lecteurs français ; seulement, pour goûter ce qu’il y a de neuf et de profond, l’un devra impartialement s’élever au-dessus de la rigueur avec laquelle tout ce qui est anglais est traité, et l’autre au-dessus de la faveur avec laquelle est traité tout ce qui est français. Voyez en effet quelles atténuations on apporte à nos mauvaises actions et sous quelles grandes qualités on voile nos mauvais côtés. L’esprit routinier qui nous arrête n’est plus qu’une raison étendue qui aperçoit de loin et au loin les éventualités ; les abominables cruautés qui souillent notre histoire ne sont qu’une logique rigoureuse qui passe de la conception au résultat. Voyez aussi comme ce qui, selon moi, appartient à la date est attribué absolument à la race, je veux dire la rationalité qui caractérise la révolution française. Certes, si cette révolution, au lieu d’éclater en 1789, eût éclaté en 1640 comme la révolution anglaise, non-seulement elle n’eût pas été philosophique et axiomatique comme elle a été, mais encore elle ne pouvait, comme le prouvent la fronde et ses tumultes contemporains, que rester au-dessous de la révolution anglaise, entre un protestantisme avorté et un catholicisme ébranlé. Pendant que M. O’Connell attribue aux Celtes et aux Français une supériorité de race, il me semble curieux de rappeler qu’à la fin du premier empire et sous l’impulsion des haines justes et violentes suscitées contre notre nation par nos odieuses guerres, il fut, dans quelque recoin de l’érudition allemande, question de nous comme d’une race inférieure, brutale, et indigne d’être européenne.

Byron a raillé ceux qui, dans la nation anglaise, s’inquiéteraient de savoir s’ils sont de descendance saxonne ou normande, à peu près comme si quelqu’un de nous s’inquiétait en France de savoir s’il est d’origine gauloise ou latine, ou franque, ou burgunde, ou visigothe. Depuis longtemps, tous ces élémens sont confondus en un seul corps, la nation française : même les étrangers qui viennent de temps à autre se fixer chez elle s’y absorbent, et Mirabeau, bien que d’une famille originaire d’Italie, est pleinement Français ; mais historiquement et nationalement il importe de conserver les filiations, absolument effacées pour les individus. C’est à ce titre que je réclame contre une assertion de M. O’Connell relative aux Normands ; je parle des Normands de notre Normandie. Il les range, du moins ceux qui figurent dans les pièces de Shakspeare, parmi les populations teutonnes. Je ne puis accepter cette assimilation. L’invasion Scandinave fut la dernière des invasions germaniques sur le sol de la Gaule ; mais elle n’en diffère en aucune façon, et peut même servir à éclairer l’histoire de celles qui, étant plus anciennes, sont plus