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— J’espère que miss Lee me pardonnera la liberté que j’ai prise, dit le peintre, et qu’elle me permettra de déposer cette esquisse parmi ses dessins, quitte à la lui redemander un jour, si elle pouvait servir à quelqu’une de mes compositions futures.

— Vous servir de modèle est bien de l’honneur pour moi, répondis-je, et je n’ai certainement rien à pardonner. Quant à la ressemblance du portrait, je n’en suis point juge; mais j’estime qu’une Parque, — Clotho ou toute autre, — aurait une physionomie plus impassible... Ceci me représente mieux Electre trompant son ennui par le travail avant le retour d’Oreste.

— Parque ou Furie (car Electre était à peu près une Euménide), cette image vous rappellera vivement à quiconque vous a connue, reprit Hugh... Je voudrais bien qu’elle m’appartînt...

— Vous ne songez guère, me hâtai-je d’interrompre, à commencer vos promenades à cheval.

Ceci était une allusion qu’il devait comprendre. Il la comprit en effet, et mon but se trouva immédiatement atteint, car il changea de propos. — Vous me reprochez, ce me semble, poursuivit-il à demi-voix, de n’être pas encore allé à Hincksley (Hincksley était la résidence des parens de miss Glynne)... Ceci est de ma part une tactique profonde. Il faut d’abord endormir la vigilance de mon frère et de ma belle-sœur, qui, n’étant pas du complot, s’inquiéteraient bien vite de promenades trop tôt commencées. Quand ils seront bien persuadés que je suis venu chez eux sans aucune arrière-pensée, il sera temps de se mettre en campagne.

Je ne pus m’empêcher de me demander, après avoir reçu cette explication, si Hugh Wyndham, ne trouvant à Bampton-Chase ni M. Wroughton ni moi, et réduit pour toute distraction au whist fraternel, se serait montré si minutieusement diplomate. Au reste, et dès le lendemain, il ouvrit les hostilités par une promenade matinale d’où son cheval revint surmené. Cette première démarche n’avait pas eu grand succès; je m’en convainquis à sa mine soucieuse. De fait, — il saisit le premier moment favorable pour m’en informer, — la belle Rosa n’avait ni manifesté en le revoyant une joie aussi vive qu’il l’espérait, ni cherché surtout, autant qu’il l’eût souhaité, des occasions de l’entretenir en particulier. Elle ne voulait point, comme on dit, marcher plus vite que le pas, et son amoureux devait, selon elle, comptant sur la promesse qu’il avait obtenue, lui épargner discrètement les persécutions dont elle serait l’objet, si on venait à la savoir engagée, ainsi que les ennuis, disait-elle, d’une correspondance clandestine. Ce langage très net et fort précis n’avait rien de trop flatteur pour l’impatient amoureux à qui elle avait affaire; mais quand elle l’avait vu prêt à s’irriter, elle lui avait fait pressentir en