Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Merci donc, et mille fois merci !… Une indiscrétion de vous me mettrait dans le plus grand embarras… Ma visite à mon frère fait partie de mon plan de campagne… Elle habite à dix milles d’ici, et je pourrais, sans être suspect, la voir fréquemment… Mais Owen et ma belle-sœur doivent tout ignorer… Vous ne nous trahirez certainement pas ?… Voici donc signé notre traité d’alliance… Que ne puis-je y voir le germe d’un traité de bonne amitié… Mais à propos, miss Lee, à quel signe si certain aviez-vous reconnu en moi le futur époux de votre ex-gouvernante ?

Je ne répondis qu’en lui montrant sur sa boîte, du bout de mon ombrelle, les initiales H. W., cause première de l’erreur qui avait fait faire un si rapide chemin à notre intimité naissante. Ce furent alors des rires sans fin, que les échos de la forêt me renvoyaient d’éclats en éclats. — Était-il vraiment possible, me demandais-je avec une sorte de stupéfaction, que ce fût là cette rencontre si redoutée, là cet ennemi si formidable, là cet agent, ce complice de plans si ténébreux, si odieux ?

— Je suis vraiment ravi, disait-il, de cette rencontre inattendue et de ce duel à brûle-pourpoint… On ne se connaît, on ne s’apprécie jamais mieux qu’après avoir croisé le fer… Songez que nous avons ainsi échappé aux horribles formalités d’une présentation. Nous sommes de vieilles connaissances, nous nous savons par cœur. J’ai déjà toute confiance en vous. Est-ce que vous vous méfiez encore de moi ?

Et parlant ainsi, le brave garçon me tendait la main avec un généreux laisser-aller, une certitude complète de trouver chez moi la cordiale sympathie qu’il entendait me témoigner. Je ne pus résister à l’entrainement de ce loyal appel à mes meilleurs sentimens. La main que je lui tendis à mon tour fut emprisonnée dans une rude et fraternelle étreinte à laquelle on ne pouvait se méprendre.

La paix était donc faite quand nous arrivâmes en vue de Bampton-Chase. Un dog-cart arrêté au bas du perron venait d’y déposer M. Wroughton, que Hugh Wyndham reconnut de loin. — Je vous demande la permission de vous le présenter, me dit-il ; mais je vous préviens que si vous lui parlez avec autant d’expansion que tout à l’heure à son indigne représentant, le malheureux, d’une timidité tout à fait exemplaire, est capable de se trouver mal.

La soirée ne se passa point sans que j’eusse la confidence tout entière de mon nouvel ami. Je connaissais effectivement la jeune personne à la main de laquelle il aspirait. Nièce de lady Dashwood, elle rencontrait souvent chez sa tante Eugénie Le Gallois, qui m’avait parlé d’elle comme d’une « excellente petite fille ne cherchant point à s’en faire accroire. » Cette petite fille m’apparaissait maintenant