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temps de l’examiner assez pour m’assurer qu’il était grand, parfaitement distingué de tournure, et que les boucles épaisses de ses cheveux blonds retombaient sur un cou dont la blancheur eût pu être enviée par mainte jolie femme. Qui pouvait être cet intrus de si bonne mine? Je cherchais à le deviner et ne cherchai pas longtemps, mes yeux étant tombés sur la boîte qui paraissait renfermer tout son attirail de peinture. Le couvercle de cette boîte portait en effet en fort grosses lettres les initiales H. W., celles de notre hôte, Henri Wroughton.

Très rassurée, — j’en avais besoin, — par cette explication muette, je compris que notre peintre, arrivé trois heures plus tôt qu’on ne l’attendait, n’avait pas cru convenable de se présenter immédiatement, et, trouvant un site à son gré, occupait de son mieux les loisirs que lui avait ainsi ménagés le hasard. Je m’étais promis de faire le plus affectueux accueil au futur de ma bonne miss Sherer, et j’étais sur le point, le saluant par son nom, de lui dire le mien, quand le jeune artiste, venant à tourner la tête de mon côté, m’aperçut et se leva. J’interrompis sa première phrase d’excuses en le priant de vouloir bien continuer son travail sans se déranger autrement, et pour l’y encourager, je me mis moi-même en mesure de dessiner comme s’il n’était pas là. Pendant que nous demeurions ainsi occupés en silence chacun de notre côté, sans lever les yeux l’un sur l’autre, récapitulant les observations que je venais de faire, je ne pouvais m’empêcher de trouver le fiancé de miss Sherer un peu trop jeune et un peu trop beau garçon pour cette chère et modeste governess. Finalement je crus devoir prendre la parole et témoigner à notre hôte le regret qu’il n’y eût en ce moment à la maison, — ma mère étant sortie en voiture, — personne qui pût lui en faire les honneurs. Il me répondit avec aisance qu’effectivement on ne devait pas l’attendre de si bonne heure: — Mais, ajouta-t-il en me montrant le vieux chêne-liège qu’il crayonnait, je profite du temps que j’ai gagné pour faire le portrait d’une ancienne connaissance à moi. Vous n’y voyez pas d’inconvénient, miss Lee?

Ce ton de parfaite assurance, le regard souriant de ces grands yeux bleus, cette déférence qui avait en elle comme une nuance de badinage, me prirent à court et me causèrent un certain embarras. Mon interlocuteur s’en aperçut sans doute, car il me demanda tout aussitôt si par hasard il se serait trompé de nom, et si je n’étais point la personne à qui ses excuses avaient été adressées.

Me rappelant un portrait de moi que j’avais donné à miss Sherer, je lui demandai si c’était ma ressemblance avec cette image qui lui avait fait deviner mon nom.

— Peut-être, répondit-il; mais surtout la pensée que je ne pou-