Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 30.djvu/285

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

miss Lilian Annesley, la nièce du capitaine Stanhope, sous les ordres duquel Godfrey venait de servir. Cette belle et coquette personne, après l’avoir bercé des plus flatteuses espérances, lui avait préféré un prétendant plus riche et qui en outre l’entraînait avec lui dans la plus haute sphère de l’aristocratie. A peine fut-elle devenue lady Southborough, que Godfrey, blessé à la fois dans ses plus chers sentiniens et dans son orgueil viril, s’était fait un point d’honneur de se marier, lui aussi, sans délai. Je n’appris tous ces détails que bien plus tard : à l’époque dont je parle, le nom de Godfrey n’était jamais prononcé en ma présence.

Mes relations avec Eugénie Le Gallois ne furent point rompues par son entrée chez lady Dashwood. Elle passait volontiers auprès de moi les rares journées dont ses assujettissantes fonctions lui laissaient le libre emploi. Je dus à sa pénétration et à son franc parler étourdi de saisir, dans la situation qui m’était faite, des nuances que mon ignorance du monde n’eût pas aisément découvertes. Miss Sherer ne croyait pas devoir se permettre devant moi une seule remarque dont mes parens eussent pu lui demander compte; mais Eugénie s’étonnait tout haut de l’isolement où nous vivions. — Riches comme vous êtes, ne voir personne, quelle étrange anomalie! — Puis elle me fit remarquer que des nombreux parens de M. Owen Wyndham, aucun n’était en rapports suivis avec lui. Une lettre qui nous annonça inopinément la mort du colonel Wyndham (le père du second mari de ma mère) donna peu de temps après à cette observation un relief tout particulier. Je ne m’étais jamais douté jusque-là que le colonel Wyndham fût encore au monde. Je m’informai de la mère de M. Wyndham, que je n’avais jamais vue : on me répondit que sa déplorable santé l’empêchait de quitter la campagne; à la bonne heure, mais pourquoi son fils ne l’allait-il jamais voir? Il avait des frères, comment ne les connaissais-je que par ouï-dire? Il avait plusieurs sœurs mariées. Pas une n’était venue visiter ma mère. Ma mère elle-même avait encore un de ses frères, M. Haworth. Nous le recevions quelquefois à dîner, mais (Eugénie m’y fit prendre garde) mistress Haworth paraissait à peine une ou deux fois l’an chez sa belle-sœur. — Vous êtes donc des loups, vous autres Anglais? me disait, en me témoignait sa surprise, ma spirituelle et naïve amie.

Je m’étonnais aussi, avertie maintenant; mais comme mes goûts n’avaient rien de très mondain, je ne m’affligeais guère. Contre les idées un peu sombres qui de temps en temps troublaient malgré moi la sérénité de ma jeunesse, la lecture et l’étude étaient mes meilleures ressources. J’aimais les occupations sédentaires, les travaux qui tiennent le corps immobile et l’esprit absorbé. Je dessinais