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pour le printemps suivant. M. Wyndham s’empressa de m’accorder la faveur que je réclamais ainsi, et ma mère prit grand soin de faire valoir la complaisance de son mari. Par le fait, à mesure que je grandissais, je le trouvais de plus en plus disposé à m’être agréable, autant du moins que le lui permettaient son humeur un peu sombre et ses habitudes fort peu casanières; mais bien que parfois, touchée de ses bons procédés, je me surprisse à m’accuser d’être injuste à son égard, la même barrière invisible, les impressions, les souvenirs, les doutes du passé, s’élevait toujours entre Owen Wyndham et moi.

J’avais, pendant mon séjour à Boulogne, reçu de Godfrey une lettre qui m’avait étonnée. En l’écrivant sous le coup de préoccupations dont je n’avais pas encore le secret, il semblait avoir oublié ce que notre dernière entrevue avait eu de particulièrement intime et les graves sujets dont il m’avait entretenu : quelques mots à peine sur moi, sur la situation où il m’avait laissée; de grands détails, en revanche, sur la famille « tout à fait charmante » du beau-frère de son ancien capitaine, M. Stanhope. Je ne sais quel instinct féminin me fit pressentir que, dans cette charmante famille, il devait y avoir une jeune fille dont ce cher frère était épris, et je ne me trompais point. La réponse que je me hâtai de lui adresser contenait-elle quelque allusion à cette conjecture peut-être indiscrète? Je ne saurais le dire aujourd’hui. Ce qui est certain, c’est que la correspondance en resta là pendant des mois. Ce fut seulement vers la fin de l’hiver, après notre retour en Angleterre, qu’une autre lettre vint m’apprendre le mariage de Godfrey. Il épousait, me disait-il en termes assez concis, et dans un style moins animé, moins joyeux que l’occasion ne semblait le comporter, « la seconde fille du général Murray, de Heatherbank. » S’il ne m’avait pas répondu plus tôt, il en rejetait la faute sur les ennuis, les tracas, les inquiétudes, qui l’avaient absorbé durant ces derniers mois. « Maintenant qu’il était marié, maintenant que, dans un avenir plus ou moins éloigné, il se flattait d’avoir un intérieur bien à lui, il espérait qu’il pourrait quelque jour m’appeler auprès de lui et me présenter à ma belle-sœur, toute disposée à m’aimer comme il m’aimait lui-même. » Cette lettre, qui ne m’annonçait aucun malheur, m’arracha cependant un éclat de larmes dont Eugénie fut presque effrayée. — Qu’avez-vous? me disait-elle. Votre frère fait donc un très mauvais mariage?

— Comment voulez-vous que je le sache? lui répondais-je... Ce qui est clair, c’est que sa lettre n’est pas celle d’un homme qui se sent heureux et confiant dans l’avenir... Il n’épouse pas évidemment celle qu’il aimait!

Cette fois encore mes pressentimens disaient vrai. La jeune personne à laquelle sa première lettre faisait une lointaine allusion était