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reçue pour miss Lee. » C’était la première fois de ma vie que m’arrivait pareille aventure, et j’en tremblais si fort de plaisir et de curiosité qu’à peine pus-je rompre l’enveloppe. L’écriture, grossie à dessein, était assez lisible pour qu’avec un peu d’aide il me fût possible de la déchiffrer. Voici ce que je lus :

« Chère petite Swithy, notre tuteur et mes cousines me disent que vous êtes une jeune personne accomplie. Je veux m’en assurer en vous écrivant, à présent que vous savez lire, pour vous inviter à venir dîner jeudi prochain chez mistress Halsey; vous y trouverez d’aimables cousines et votre frère bien affectionné,

« GODFREY LEE. »

Une lettre de Godfrey! Godfrey en Angleterre! Je n’en pouvais croire même ce billet que mes mains ne voulaient plus lâcher : — Est-ce possible, demandais-je à miss Sherer... Vous en doutiez-vous?

— Très possible, et je le savais, me répondit-elle.

— Et ma mère?...

— Votre mère le savait aussi; mais elle ne voulait pas qu’on vous en parlât... de peur de vous trop exciter...

Conseillée par mon aimable governess, je portai immédiatement à ma mère la lettre que je venais de recevoir, en lui demandant si elle autorisait ma visite aux Halsey ; mais à peine avais-je nommé Godfrey, qu’une vive colère anima son visage. — Si votre frère veut vous voir, s’écria-t-elle, qui l’empêche de venir ici? Me croit-on disposée à vous envoyer chez des gens qui affectent de méconnaître votre mère?...

Je ne comprenais point; mais j’étais bouleversée, et les yeux pleins de larmes, j’attendais une réponse plus catégorique. — Dois-je répondre que je n’irai pas? demandai-je enfin quand ma gorge, qui s’était serrée, me permit d’articuler quelques mots.

— Vous n’avez rien à répondre, reprit ma mère... J’écrirai moi-même à mistress Halsey.

Mon chagrin était grand, on peut le penser. Comment ferais-je savoir à Godfrey tous mes regrets? N’allait-il pas croire que je ne l’aimais plus, que je l’avais oublié? Miss Sherer me consolait de son mieux, et me promettait de faire savoir aux misses Halsey, dont elle connaissait l’institutrice, combien il m’était dur de refuser l’invitation transmise par mon frère; mais le ciel me prit en pitié. J’appris le lendemain qu’un billet de mistress Halsey, arrivé à ma mère, avait changé la face des choses. Cette dame (qui par parenthèse ne venait chez ma mère que deux fois dans le cours de chaque saison, et ne nous amenait jamais ses filles), cette dame, dis-je, en insis-