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— Si... et même sinon, reprit mon tuteur... De la tête aux pieds, c’est une vraie Lee.

— Oh! pour cela, pas le moindre doute! reprit ma mère d’un ton très sec.

— Elle n’a donc rien de mieux à faire qu’à persévérer dans cette voie, reprit M. Halsey en posant un baiser sur mon front: puis, sans embrasser Emmeline, il prit poliment congé de ma mère.

Ce dialogue me resta dans la tête. J’étais enchantée de me savoir « une vraie Lee de la tête aux pieds. » Et pourtant j’ignorais encore quel type d’austère beauté passait pour être le partage héréditaire de cette race vouée au malheur; mais ressembler à mon père, ressembler à Godfrey me semblait si bon,... d’autant que si jamais ce cher frère venait à me rencontrer par hasard en pays étranger, en mer, je ne savais où, il ne pourrait manquer, averti par cette ressemblance, de me reconnaître et de me sauter au cou.

N’oublions pas un autre incident qui se rattache à cette visite de M. Halsey. M. Wyndham venant à rentrer peu après la sortie de mon tuteur, ma mère, qui avait peut-être surpris un éclair d’orgueil dans mes yeux, lui adressa une remarque ironique sur le « bon goût de ce brave homme, qui trouvait Alswitha si belle!... » M. Wyndham, qui ne comprit pas l’allusion, ne répondit rien-, mais j’avais, moi, parfaitement saisi la portée du sarcasme maternel, et, animée comme je l’étais en ce moment, il me parut bien de ne pas me laisser fouler aux pieds sans répondre. Je ne voulais pas d’ailleurs que mes parens se méprissent sur le vrai sens du plaisir que mes regards avaient trahi. Je m’avançai donc gravement devant la causeuse où ils étaient assis, et une fois là : — Maman, dis-je avec un accent assez marqué, je sais qu’Emmeline est jolie et que je ne le suis point... Je suis pourtant charmée de ressembler à Godfrey.

Je me sentais rougir en parlant ainsi, surprise moi-même de ma vaillance, et je m’attendais à une vive rebuffade; mais pas un mot de reproche ne sortit des lèvres de ma mère, et quant à M. Wyndham, il me regardait d’un air non moins effaré que si une des chaises, une des tables de l’appartement eût tout à coup pris la parole pour l’apostropher. Il se leva l’instant d’après, et alla s’accouder à la fenêtre ouverte : — Est-ce miss Sherer, me demanda alors ma mère presque à voix basse, est-ce miss Sherer qui vous entretient de votre frère?... Et comme elle vit à mon étonnement que sa conjecture n’avait rien de fondé... — C’est bien, c’est bien, dit-elle sans me laisser le temps de répondre... Allez retrouver votre gouvernante.

Les deux journées suivantes n’eurent rien de remarquable; mais le troisième jour le facteur fit grand bruit, à la porte, « d’une lettre